C’est un numéro un peu spécial puisqu’il s’agit d’une interview croisée entre les 2 animateurs du podcast “Sobriété & Marketing… possible ?”
Jonathan Loriaux, qui est aussi fondateur de Badsender et moi-même Marion Duchatelet consultante en emailing.
Dans cet épisode nous avons voulu pendre du recul sur les 16 interviews que nous avons enregistrées cette dernière année.
Est-ce qu’elles nous ont permis d’avancer dans nos réflexions professionnelles ? Est-ce que notre conception de la communication et du marketing responsable a évoluée ? Est-ce que ça a changé quelque chose dans la façon de faire notre métier, de réaliser nos missions et de faire évoluer les prestations de Badsender ?
Et finalement, est-ce que c’est possible de faire un marketing de la sobriété ?
Bonne écoute !
Partie 1 : Jonathan Loriaux interviewe Marion Duchatelet
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Partie 2 : Marion Duchatelet interviewe Jonathan Loriaux
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La transcription texte du podcast partie 1
Jonathan Loriaux
Salut Marion.
Marion Duchatelet
Salut Jon.
Jonathan Loriaux
Aujourd’hui, on a décidé de faire un épisode un peu particulier. À la base, on voulait le faire pour le dixième épisode et puis on s’est laissé un petit peu dépasser par le temps. Maintenant, il y a une dizaine d’épisodes de notre podcast qui sont publiés et on voulait se faire une interview croisée avec Marion pour faire un peu le bilan et voir ce qu’on a retenu de ces premiers épisodes qui ont été publiés depuis octobre. Aujourd’hui, c’est moi qui interview Marion et puis elle fera l’exercice inverse pour publier un double épisode qui sera une bonne manière de faire un point d’étape et de voir l’ensemble des infos qu’on a reçues et ce qu’on en a retenu et de peut-être voir ce qu’on doit faire de mieux pour la suite de ce podcast. Marion, je vais te poser à peu près la même question que je pose à tous les interviewés dans ce podcast, même si on se connaît très bien. Est-ce que tu pourrais nous raconter ton parcours ? Comment as-tu fait la rencontre de Badsender ? Et ce que tu fais au quotidien dans l’agence et si tu en as envie, en dehors de l’agence aussi ?
Marion Duchatelet
Je travaille depuis à peu près 2005-2006. J’ai fait le début de ma carrière, je n’aime pas trop ce mot-là, mais j’ai fait le début de ma vie professionnelle chez Cabestan, qui était un routeur de gestion de campagne marketing. Je suis restée huit ou neuf ans là-bas. C’est là où j’ai fait toutes mes armes niveau emailing. C’était une super expérience. J’ai quitté Cabestan parce-que j’en avais marre de Paris. J’étais parisienne à l’époque et on voulait revenir à Lille avec mon compagnon. Du coup, j’ai fait deux années en télétravail avec Cabestan où j’allais deux fois par semaine à Paris. Et après, avoir un pied à Paris et un pied à Lille, ce n’est pas toujours évident pour la vie pro, surtout que je suis devenue maman à ce moment-là. Donc, j’ai fait une expérience de deux ans dans une agence à Lille, plutôt spécialisée en data, mais en data d’acquisition. Cela ne m’a pas du tout plu. Et à ce moment- là, c’était un peu un vide professionnel. Je ne m’éclatais plus du tout. J’ai alors vu un poste de Monsieur Jonathan Loriaux sur Linkedin, disant que tu recherchais un consultant conseil stratégique en emailing. Quand j’ai lu l’article, ça correspondait pas mal à ce que je savais faire. Surtout que tu disais que ça pouvait être en free. Tu n’étais pas très exigeant sur la façon de recruter la personne. Donc je t’ai envoyé un petit mail. Et puis, ça a commencé à se faire.
Jonathan Loriaux
Et on a été boire du vin à l’EMDay à Strasbourg pour sceller l’alliance.
Marion Duchatelet
Ah oui, c’était peut-être à ce moment-là.
Jonathan Loriaux
Tu ne te souviens pas ?
Marion Duchatelet
Non, pas du vin, parce que j’étais enceinte. Tu buvais du vin tout seul.
Jonathan Loriaux
Ah oui, ça devait être ça. C’est bien possible, mais je n’étais pas tout seul.
Marion Duchatelet
Je t’ai facilement convaincu de bosser avec moi.
Jonathan Loriaux
Oui ! Et du coup, depuis lors, parce que ça fait cinq-six ans qu’on collabore, quel est ton job au quotidien chez Badsender ?
Marion Duchatelet
Comme si tu ne le savais pas 😉
Jonathan Loriaux
Oui, mais les gens ne le savent pas.
Marion Duchatelet
Au quotidien, je conseille nos clients plutôt dans leur stratégie au sens large, stratégie d’emailing. Ce que j’aime bien faire, ce sont les audits, les points de départ, pour que je me fasse un état des lieux de leur stratégie actuelle. Et puis ensuite, je fais une liste de recommandations avec une feuille de route pour étaler ces recommandations dans le temps. Je fais du coaching aussi pour ces clients. Donc en général, après l’audit, pour que ces recommandations soient mises en place, il y a des séances de coaching qui s’étalent sur un an à peu près. Et puis, je fais beaucoup de marketing pour Badsender dans le sens où j’anime un live à peu près un jeudi sur deux. Beaucoup d’articles, beaucoup de guides, beaucoup d’écriture, en fait, et de prise de parole.
Jonathan Loriaux
En effet, la moitié à peu près de l’équipe de Badsender écrit beaucoup, ou en tout cas, essaie d’écrire beaucoup, parce que ce n’est pas toujours évident de trouver le temps et les bonnes plages pour se concentrer là- dessus. Tu es une des personnes les plus revendicatives sur les questions d’urgence climatique et d’ailleurs, tu insistes sur ce terme d’urgence climatique au quotidien chez Badsender. Je me demandais si tu avais toujours eu ce niveau de militantisme et si ce n’est pas le cas, comment est-ce arrivé ? Quelle est la démarche qui t’amène à te poser autant de questions au quotidien ? Et Dieu sait si tu t’en poses des questions. Je suis bien placé pour le savoir.
Marion Duchatelet
Non, non, je n’ai pas du tout été autant militante. J’ai toujours eu ce côté authenticité, simplicité. Par contre, ce côté militant, c’est venu il y a six ans. Dans la ville dans laquelle j’habite à Mons-en-Baroeul, il y avait une conférence qui avait lieu sur la permaculture. Et à l’époque, je pensais que la permaculture, c’était uniquement autour de la manière de cultiver son potager. Et donc j’avais dit à mon mari, lui qui adore le potager et qui commençait à s’intéresser à la permaculture, « Vas-y, ça a l’air hyper intéressant. » Et quand il est revenu de là, j’ai vu un stress dans ses yeux en disant « Purée Marion, c’est grave la merde. Il faut absolument garder les terres de tes parents (mes parents sont agriculteurs) parce que c’est bientôt la merde. » Et en fait, dans le couple, c’est plutôt moi la stressée et lui, le mec qui temporise, qui relativise, et de voir mon mari stressé, je me suis dit « Oh putain c’est vraiment la merde.»
Jonathan Loriaux
Tu t’es mise en état de stress encore supérieur.
Marion Duchatelet
Ouais. Du coup, j’ai lu, j’écoute plein de podcasts, je lis beaucoup. Et puis, au fur et à mesure que tu te renseignes, tu apprends. Et quand tu es alertée et formée sur ces sujets, ça te prend aux trips et faire marche arrière est difficile.
Jonathan Loriaux
Il vaut mieux ne pas se former si on ne veut pas stresser… C’est ironique. Je vais te poser la question classique qu’on pose à tous nos invités. Quelle est la définition pour toi du mot « sobriété » ? Quelle est pour toi la définition du mot « marketing » ?
Marion Duchatelet
Je vais commencer par le mot « marketing ». Moi, dans le marketing, je vois deux marketing. Souvent, on n’en fait qu’un mot, mais pour moi, il y a le marketing stratégique. En général, ce ne ne sont pas les clients, ce n’est pas notre cible, ce ne sont pas les responsables CRM. C’est vraiment le positionnement produit, quelle cible on vise, quel prix on met, quel est l’argumentaire de vente. Et après, tu as le marketing opérationnel qui est là, plus le public de Badsender, j’imagine, qui est vraiment les techniques pour appliquer ce marketing stratégique, donc des techniques de vente, des techniques de notoriété, des techniques de communication. D’ailleurs, ce marketing là, il est vachement lié à la communication et à la publicité dans les entreprises. Et le mot « sobriété », c’est un mot à part qui guide ou pas le marketing des boîtes. Et pour moi, c’est revenir aux besoins essentiels pour vivre correctement et de façon heureuse. Donc, ça remet en cause la société de consommation et ça remet en cause aussi l’idée que le bonheur et le plaisir passent forcément par l’argent.
Jonathan Loriaux
Pour en revenir au marketing, moi, je pose la question de cette manière-là. Mais je ne suis pas certain que tu la poses systématiquement de cette manière-là. Mais est-ce que tu as eu beaucoup de réponses très différentes ? Finalement, j’ai l’impression que la notion de sobriété est limite plus claire pour nos invités que le marketing, qui est souvent lié à ce que les personnes qu’on a invitées font au quotidien. C’est un mot qu’on utilise à toutes les sauces, tous les jours, tout le temps et j’ai l’impression pour autant que ce n’est pas si clair que ça.
Marion Duchatelet
Non, c’est un peu le bordel dans la tête des gens. En fait, souvent, quand on demande ce qu’est le marketing, tout de suite, on va sur du marketing opérationnel donc justement, ces techniques de vente. On ne parle pas trop du positionnement produit, de l’argumentaire, de la ligne éditoriale etc… qui font un peu partie du marketing, mais qui sont étroitement liés à la communication. C’est pour ça que moi, je fais un lien fort entre le marketing et la communication, mais je trouve que quand on pose la question « C’est quoi le marketing pour une boîte ? », c’est très vite dans les techniques marketing.
Jonathan Loriaux
Oui, j’ai le même constat que toi. Est-ce-que les différentes discussions, avec les différents invités, t’ont permis d’avancer dans tes réflexions personnelles et surtout dans tes réflexions professionnelles ? Au final, puisque c’est un peu l’objectif de ce podcast, nous nous posons des questions, Badsender se pose des questions et on veut essayer de comprendre où on devrait aller sur les questions de sobriété ? Est-ce que quelque chose a changé en toi dans la réflexion ?
Marion Duchatelet
Côté pro, je me pose beaucoup de questions sur l’utilité de notre métier. Ça, tu le sais, ce sont des questions que je me pose toujours.
Jonathan Loriaux
Ça t’a aidée, du coup, à y trouver du sens ?
Marion Duchatelet
En tout cas, ça m’a aidée à proposer aux clients de les accompagner pour bosser leur ligne éditoriale, leur ton de voix, ce qu’on ne faisait absolument pas il y a encore quelques mois. Parce que pour moi, le choix des mots et le choix des visuels qui sont dans ces messages marketing ont une importance cruciale si on veut aller vers de la sobriété. Dans mes réflexions pro, il y a les prestations. Je passe beaucoup moins de temps ou en tout cas je débats moins sur les innovations. Parce qu’en fait, quand tu poses la question aux interviewés, ils s’en foutent des innovations emailing.
Jonathan Loriaux
Ce que tu veux dire, c’est qu’en utilisant de la low-tech sur les techniques marketing, on est capable de faire aussi bien que si on s’ennuie à chercher des nouveautés pour impressionner la galerie.
Marion Duchatelet
La low-tech et une ligne éditoriale, savoir exactement ce que tu veux raconter, là, pour moi, ça dépasse tous les taux d’ouverture, les taux de clics du monde. Donc oui, dans les prestations de Badsender, ça a permis, j’espère en tout cas, de les réorienter. Moi, je suis de moins en moins à l’aise, si je reste sur le côté professionnel, avec le statut de Badsender, la SAS. J’ai l’impression que la manière dont nous dirigeons la boîte ne correspond pas à ce statut-là. À chaque fois, dans tous les podcasts, dans tous les épisodes, on en vient à parler de l’objectif même d’une entreprise, pourquoi gagner de l’argent et du business model ? Je trouve qu’on colle de moins en moins avec ça.
Jonathan Loriaux
Ça c’est un point qui est intéressant parce que j’ai noté aussi des trucs intéressants là-dessus. Justement, par rapport au business model et au modèle capitaliste traditionnel des entreprises qu’on peut accompagner, est-ce qu’il y a une direction qui te semble assez harmonisée dans les entreprises qui se disent éco responsables ou de nouveau, ça part dans tous les sens et tout le monde n’a pas forcément les mêmes conceptions de ce que c’est créer une entreprise et la diriger ?
Marion Duchatelet
J’ai l’impression qu’il y a une double question dans ta question.
Jonathan Loriaux
Peut-être.
Marion Duchatelet
Si tu restes sur le statut, je trouve qu’il y a pas mal de coopératives qui se créent et qui n’ont pas du tout la même philosophie qu’une entreprise classique. Mais par contre, dans les entreprises qu’on a interviewées, il reste, je trouve, des entreprises engagées et des entreprises très engagées. Et en fait, le curseur, pour moi, n’est pas au même endroit. On va avoir plus de modèles coopératifs, voire d’assaut dans les entreprises très engagées et on va rester sur un modèle plutôt capitalistique pour une entreprise qui se dit engagée.
Jonathan Loriaux
Et quand tu dis « engagée », c’est quoi ? C’est lié à une logique militante dans laquelle, d’un côté, on essaye de faire les choses correctement et d’autre part, on le revendique et on essaye de secouer tout un secteur et d’aller un peu plus loin que juste la direction de son entreprise ?
Marion Duchatelet
Dans les entreprises engagées, c’est ceux qui veulent changer les modes d’usage et les modes de consommation et qui continuent à utiliser les techniques marketing classiques dans l’objective de prendre des parts de marché à ceux qui sont moins vertueuses. Ils ont trouvé un mode d’usage et de consommation vertueux, je pense à la production locale ou européenne, pas du made in China, etc…
Jonathan Loriaux
Ça, au final, c’est quand même un peu la justification qu’ils nous donnent tous. C’est que nous, avec notre activité économique, on veut remplacer de l’activité économique qui est moins vertueuse. Ça, c’est assez global dans la manière de voir les choses.
Marion Duchatelet
Oui, mais dans les entreprises très engagées, je trouve qu’il y a un pas en plus, c’est-à-dire qu’ ils vont aligner leur marketing à leurs valeurs. Donc, si leurs valeurs, c’est de la sobriété, leur pression marketing sera vachement moindre. Il n’y aura pas de promotion. Ça sera vachement sur de la ligne éditoriale. Ce ne sera pas trop de la mise en avant, voire pas du tout. Ce n’est même pas du tout de la mise en avant promotionnelle. Ils vont beaucoup plus se baser sur des techniques marketing qu’on n’a pas l’habitude de voir, c’est-à-dire qu’ils vont convaincre par la voix. Convaincre par la voix, ça veut dire qu’ils vont faire des conférences à mort, des TEDx, des salons professionnels, pour convaincre par la présence et par la voix et non pas par l’achat de mots-clés, par du Facebook Ads, de l’Instagram Ads, etc. Ils vont être beaucoup moins sur des techniques d’acquisition marketing classiques, où en plus, il faut avoir plein de budget pour espérer paraître. C’est de plus en plus compliqué l’acquisition dans ces modèles-là. Ils vont beaucoup plus être sur des techniques marketing par la voix. Où ils vont prendre plus de temps, parce que participer à une conférence, il faut la préparer, il faut y aller et puis il faut la faire.
Jonathan Loriaux
Et puis il faut se rendre suffisamment visible pour avoir une légitimité pour y aller aussi.
Marion Duchatelet
Voilà. Le curseur, je trouve, dans les entreprises très engagées ou engagées n’est pas au même endroit. Et si je continue ma pensée là-dessus, c’est que souvent, ces entreprises-là, elles ne pensent pas qu’à leur boîte. Elles pensent aussi de façon systémique et du coup, elles vont prendre de leur temps en bénévolat pour se dire « Je ne vais pas changer que mon entreprise, mais je vais changer le secteur d’activité de mon entreprise et je vais aller dans des assos, ou je vais en créer une pour essayer de faire changer les lois et là, pour essayer de monter au gouvernement, et faire changer tout ça. » Donc, il y a un côté où on ne regarde pas que son entreprise, mais on regarde le secteur d’activité et du coup, on a une vision beaucoup plus large que sa boîte. Ce sont des entreprises qui ne gagnent pas des milles et des cents, qui ont parfois des salaires partagés, exactement le même salaire partagé du CIO à la personne qui vient d’être recrutée. Donc, il n’y a pas de hiérarchie à ce niveau-là et elles décident d’avoir une croissance plus lente. Elles assument complètement le truc. Et en plus, c’est ça que je trouve merveilleux, c’est qu’en plus d’avoir une tréso à surveiller tous les mois, sans être complètement sereines au début, elles prennent du temps pour changer le système.
Jonathan Loriaux
Du coup, ça rejoint un petit peu la question que j’avais juste après. Est-ce que c’est possible de faire un marketing de la sobriété ? Toi, tu rajoutes une couche en disant que ce sont les entreprises qui sont les plus engagées qui font non seulement un marketing de la sobriété, mais aussi un marketing sobre, dans le sens où elles ont peu de moyens, donc elles doivent être plus créatives pour essayer d’apporter de la visibilité non seulement à leurs produits, mais aussi à la cause qu’ils défendent derrière. On n’est pas vraiment sur une ONG, mais dans les ONG, il y a des responsables de plaidoyer. Le marketing de ces boîtes-là, c’est plutôt de faire du plaidoyer, finalement.
Marion Duchatelet
Oui, je te rejoins assez là-dessus. C’est possible de faire du marketing de la sobriété, mais il faut aussi assumer le fait que si tu veux que ton marketing soit l’image de tes valeurs, donc de faire un marketing sobre, ça veut dire envoyer moins d’emails et voir qu’une newsletter par mois. En général, elles font ça. C’est plutôt une newsletter mensuelle et un scénario de parrainage. Elles misent beaucoup sur le parrainage, le bouche-à-oreille, le fait que tu dises à tes amis qu’on est canon et un email de bienvenue. Mais ce ne sont pas des scénarios marketing complexes.
Jonathan Loriaux
Nous, on n’a rien à leur vendre, en tant que consultants et agence marketing.
Marion Duchatelet
Peut-être au niveau des outils, elles sont un peu paumées, elles choisissent un peu un outil comme ça. En général, elles ont des outils de routage que nous, on classifie un peu « basiques ». Mais parmi ces outils basiques, nous, on sait qu’il y a des outils qui valent plus ou moins le coup. Et là-dessus, elles sont un peu paumées, elles prennent un peu un outil comme ça au hasard. Mais oui, elles ne vont pas se prendre la tête à faire de l’intégration de fou, choisir un email builder 100 % email builder. Mais par contre, quand tu leur parles d’accessibilité et d’éco conception, je trouve qu’elles ont une oreille beaucoup plus tendue que quand on parle d’innovation, de personnalisation dynamique.
Jonathan Loriaux
Du coup, pour aller dans la zone des outils, est-ce que les personnes que tu as interviewées font attention (peut-être que de nouveau, il y a une grosse différence entre les engagés et les très engagés) sur l’endroit où elles investissent leur argent ? « Est-ce que je l’investis dans des outils qui ont les mêmes valeurs que moi ? Est-ce que je donne de l’argent à Facebook, à Google ? Est-ce que j’intègre la marketplace d’Amazon ? »
Marion Duchatelet
Dans les entreprises très engagées, elles veulent à tout prix se libérer des GAFA. Elles ne vont pas vouloir donner une tune à Facebook, Google ou Instagram. L’outil de routage, elles ne savent pas. Et même nous, quand on en parle, il n’y en a pas vraiment un qui se distingue sur ces valeurs-là, ça c’est clair et net. Par contre, à côté des routeurs, « les très engagées » vont chercher des outils opensource. Dans la gestion de leur entreprise au quotidien, elles ne vont pas utiliser du Word, du PowerPoint, etc. Elles vont se diriger vers des outils opensource et ça les guide. Choisir entre A et B, elles vont regarder beaucoup plus les valeurs de leurs prestataires.
Jonathan Loriaux
Est-ce qu’il y en a un, sans faire de jaloux, qui t’a plus marquée que les autres ? Même parmi ceux qui ne sont éventuellement pas encore publiés là tout de suite.
Marion Duchatelet
Je pense que c’est le deuxième que j’ai enregistré, c’est l’entreprise Mana mani, qui est vraiment une toute petite structure. Mais c’est la nana justement qui m’a fait prendre conscience que non, je ne donne pas une tune à Facebook, je ne donne pas une tune à Instagram. Alors que quand tu as fait du marketing depuis 15 ans, tu lui demandes « Comment tu fais alors pour te faire connaître ? » Elle me dit que son entreprise a toujours été rentable. Dès qu’elle a créé son entreprise, ça a été rentable. Mais par contre, elle a toujours décidé d’être 5. Voire à un moment donné, elles ont été deux ou trois. C’était rentable quand même, mais l’objectif était de ne pas avoir une croissance de dingue. Elle vit très bien comme ça. Les personnes qui l’accompagnent dans l’entreprise vivent bien, elles ont des salaires corrects. Donc, elle maintient l’entreprise comme ça, tout en respectant ses valeurs, sans les techniques marketing classiques et sans chercher la croissance à tout prix. Ça marche.
Jonathan Loriaux
Ok. Ce qui me marque quand même dans ce que tu dis, c’est que celles que tu appelles « les plus engagées », ce sont les plus petites, généralement. Puisque finalement, celles qui acceptent quand même de mettre de l’argent sur la table pour faire de la pub sur Facebook, sur Google et qui ont peut- être aussi un modèle dans lequel ils ont eu des investisseurs qui leur permettaient d’avoir du budget pour l’acquisition client, c’est quand même celles qui ont le plus grossi. Finalement, il y a quand même un petit nœud au cerveau. Si l’objectif, c’est que la part de consommation responsable augmente au détriment de la consommation moins responsable, il faut quand même à un moment donné, accélérer les choses. Je me fais un peu l’avocat du diable, je ne pense pas forcément exactement ce que je raconte, mais au final, si on veut accélérer la transition dans les modes de consommation, il faut qu’il y ait une croissance, suffisamment importante, des entreprises responsables. Et on sait qu’il y en a quand même qui souffrent, surtout dans le secteur du fringue, où ça a l’air assez compliqué de se lancer. Il y en a beaucoup qui se sont lancées ces dernières années. Donc finalement, ce modèle très engagé où on ne veut pas beaucoup croître, donne l’exemple, mais est-ce que vraiment c’est avec cette manière de faire qu’on va être capable de bousculer réellement tout le marché plus traditionnel qui se trouve à côté ?
Marion Duchatelet
C’est tous ces noeuds au cerveau. Est-ce qu’il faut se définir un point de bascule entre devenir gros ou rester petit ?
Jonathan Loriaux
On se pose la même question. C’est pour ça qu’on est là.
Marion Duchatelet
Mais après, j’ai quand même l’impression que si tu veux embarquer tout le monde comme tu dis, ce sont des lois qu’il faut bousculer. Et puis tu as aussi toute la philosophie de vie. Parce que qui dit « je grossis, je grossis, je grossis ? » Il faut pas se leurer. Tu passes quand même du temps au taf. Est-ce que tu as envie de passer du temps à ça, à grossir, grossir, grossir, sans forcément bouger le système, donc les lois, et en ayant moins de temps pour voir tes enfants ou ta famille ? Ou tes activités ? Tu me demandais quelles étaient tes réflexions pro et perso que t’ont amenées ces différents podcasts ? Moi, il y a aussi la notion du temps de travail. Je pense qu’il faut qu’on ait du temps pour des assos. Parmi tes cinq jours par semaine, je pense qu’il faut une journée, voire deux, au sein d’assos ou pour s’occuper de tes enfants, de tes parents, tous ceux qui ont besoin d’aide. Et du coup, quel est l’autre nœud au cerveau mais qui boucle toujours tout ? Quelle part de travail rémunéré tu dois avoir pour vivre correctement, mais qui saura aussi te dégager du temps pour militer dans des assos ou avoir du temps pour toi, ta famille ? Enfin, c’est le bordel.
Jonathan Loriaux
Ok. Si on va dans cette direction-là, on est encore là pendant deux heures. On fera peut-être un autre épisode là-dessus. Mais après, ce que j’entends quand même, c’est qu’il y a une voie importante pour revenir sur les changements de mode de consommation. Ça reste la régulation des pouvoirs publics et au final, peut-être, « les très engagées », comme tu les appelles, sont ceux qui militent le plus pour que ça change à ce niveau-là, parce qu’ils se sont rendus compte que sans ce levier-là, on n’allait pas forcément aller très loin.
Marion Duchatelet
Après, je trouve que dans « les engagées », ceux qui veulent faire croître leur entreprise dans l’espoir de prendre des parts du marché à des entreprises moins vertueuses, je trouve ça carrément louable, mais je me demande comment tu cèdes. Il y a un terme qui s’appelle le capitalisme responsable. C’est quand tu fais rimer la profitabilité de ton entreprise économique et la transition. Tu donnes l’illusion du changement, mais rien ne se passe vraiment. À l’échelle de ton entreprise, oui, c’est vachement plus vertueux ce que tu vends par rapport à quelqu’un d’autre, mais la profitabilité, elle reste à l’entreprise. Il y a moins de partage de richesse. Je ne sais pas pourquoi je suis partie là-dessus.
Jonathan Loriaux
Je ne sais pas non plus, mais ce n’est pas grave. C’est très bien. Est-ce que ça change des choses dans tes missions avec tes clients d’avoir monté ce podcast ? Après toutes ces réflexions, les exemples que tu as pu avoir, est- ce que ce n’est pas aussi un peu frustrant de continuer à aider certaines entreprises qui n’ont pas forcément pris la mesure de l’urgence ? Même si je pense qu’on peut en parler avec un peu tout le monde, c’est rare qu’on se prenne des claques et des « ça ne m’intéresse pas ». Est-ce que ça ne te fait pas des nœuds au cerveau au quotidien ? Même si je sais que tu es très forte pour te faire des nœuds au cerveau, donc quoi qu’il arrive, je suis sûr qu’il y en a. Mais comment tu gères ces nœuds ? Et quel type de nœuds tu te fais ?
Marion Duchatelet
Encore une fois, il y a deux questions dans tes questions ?
Jonathan Loriaux
Oui, il y a même trois points d’interrogation dans mes notes, si tu veux tout savoir.
Marion Duchatelet
La première, est-ce que ça a changé ma façon de travailler ? Alors oui, dans le sens où quand je fais des diagnostics, souvent d’emailing, de newsletter, je vais accorder beaucoup plus d’importance qu’il y a un an ou deux sur la ligne éditoriale. Donc, le choix des mots, vraiment le côté message. Le poids du message et ce que ça véhicule derrière. Je vais à chaque fois poser la question, au niveau du marketing automation, si c’est bien en phase avec vos valeurs ? Genre faire un email d’abandon de panier, un email de retargeting. Quand tu te dis « entreprise vertueuse », on peut se poser la question de la mise en place de ce marketing automation-là, alors qu’avant, c’était un automatisme, en tant que consultant. Donc oui, à chaque fois, il y a la question.
Jonathan Loriaux
Je me permets de te couper sur ça, sur le retargeting, la panier abandonné. Quelle est la raison pour laquelle ce serait compliqué, ce ne serait pas forcément une bonne idée de le faire d’un point de vue sobriété ? Parce que d’un point de vue rentabilité, on comprend tout à fait l’objectif que ça peut avoir.
Marion Duchatelet
Ca dépend de ce que tu véhicules et ce que tu vends, mais tu pousses à la consommation, en fait. « Vous n’avez pas été jusqu’au bout de votre achat, est-ce que vous voulez toujours acheter ? » Tu pousses à la consommation, donc ce n’est pas sobre.
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Jonathan Loriaux
Ce que tu veux dire, c’est que si quelqu’un abandonne un produit dans son panier, c’est peut-être qu’il n’en avait pas vraiment besoin. Et donc revenir à la charge, c’est peut-être essayer de le forcer à consommer un produit qui n’était pas forcément nécessaire.
Marion Duchatelet
Oui.
Une de tes autres questions était : « En quoi ça change tes prestations ? » J’essaye à chaque fois d’introduire beaucoup plus d’éditorial et de faire amener les annonceurs à plus d’éditos. Quand j’explique pourquoi, et notamment parce qu’urgence climatique ils sont tous d’accord avec moi, mais à chaque fois, c’est « le plan co. » En fait, les responsables CRM ou emailing en face de moi obéissent à un plan commercial qui n’est pas décidé par eux, mais par le département de l’offre. Ils sont heurtés à « C’est mon boss qui veut ça. » Et quand je pose la question à mon boss, il me répond « C’est le plan co. » En fait, ils sont tous convaincus. Il n’y a aucun problème à parler de ça avec eux. Mais pour passer à l’action, c’est le plan co. Donc on fait le plan co.
Jonathan Loriaux
Mais est-ce qu’au final, leur N+1 ne répond pas la même chose ? « Mais ce sont les objectifs de la direction générale et la direction générale qui dit que ce sont les objectifs du conseil d’administration. » Donc, on s’y tient. Ma question, c’est « est-ce qu’au final, notre job, dans certains cas sur ces questions-là, ce n’est pas aussi de fournir des kits militants pour que les personnes avec qui on est en contact soient capables de remonter au niveau supérieur pour apporter des bons arguments qui pourraient, pas forcément révolutionner les choses, en un instant, mais au moins un peu infléchir le mode de réflexion ? »
Marion Duchatelet
C’est là où je trouve que ce qu’on fait a des limites à mort. C’est qu’on n’est qu’à la technique marketing. On n’est pas au marketing stratégique, comme je l’ai dit au début de ce podcast, c’est-à-dire positionnement produit, positionnement de l’entreprise, etc… Du coup, nous, on va influencer notre client qui peut éventuellement monter, mais de là à fournir des kits, moi, je pense qu’il faut être là. Il faut plutôt parler à la direction. Et il y a des consultants qui sont en train de se monter. Il y a des agences de consulting en communication responsable, en stratégie responsable, qui eux parlent au CoDir. Et c’est eux qui ont le plus d’influence pour faire pivoter la boîte. Nous, je trouve qu’on est à un stade un peu trop bas, c’est mon avis.
Jonathan Loriaux
Ce que moi, je trouve assez marrant, mais c’est ironique, c’est qu’au final, il y a quand même un niveau de conscience sur les questions écologiques qui est assez élevé chez nos clients, les personnes avec qui on est en contact au quotidien. En tout cas, ils aimeraient bien, mais c’est vrai que la frustration pour eux comme pour nous, c’est que dans la pratique, ils ne savent pas par quel bout prendre les choses. « Oui, ok, on peut prendre des décisions positives sur de l’éco conception d’emails, de sites web, etc… Parce que ça, c’est opérationnel. » Par contre, la partie stratégie qui est de savoir quelle est l’essence du message, ils n’osent pas bouger parce que ce serait contre la ligne qui a été définie trois ou quatre étages plus haut.
Marion Duchatelet
Sauf qu’ il y en a qui osent bouger quand ils sont autonomes sur leur budget, ce qui n’est pas tout le temps le cas, et quand l’emailing n’est pas stratégique d’un point de vue budgétaire. Tu vois,Je pense à un client qu’on a. Tu as une offre qui apparaît, qui est aussi bien sur le site web que sur des encarts, qu’en emailing, qui est poussée via plusieurs leviers. Le levier emailing, ça leur apporte un peu de thune, mais ce n’est pas ce qui a le plus de poids. Du coup, là, j’arrive à faire bouger les lignes et au lieu de faire un email promo par semaine, j’en suis rendue à dire « Écoute, on fait un email sur la période de la promotion, imaginons du 30 mai au 15 juin. Tu vois, toute la période de l’offre. Et ils ont un outil avec un scoring qui dit « L’offre est envoyée au moins une fois à toutes les personnes durant cette plage horaire et à toutes les personnes éligibles. » Alors qu’avant, on était dans une réflexion, un email promotionnel par semaine, si ton offre commerciale durait six semaines, ça fait six emails promo. Alors que là, j’y suis arrivée à force de discuter avec le client parce que l’emailing n’est pas stratégique d’un point de vue budgétaire. Mais c’est peut-être notre chance d’essayer de convaincre parce que je pense que dans certaines boîtes, en tout cas, l’emailing, c’est pas ce qui rapporte le plus d’argent.
Jonathan Loriaux
Oui, et dans d’autres, ce ne sera pas exactement le cas. Imaginons une entreprise, tout ce qu’il y a de plus classique et qui a vraiment — j’insiste sur le « vraiment » — pris la mesure de l’urgence climatique, qui a fait son bilan carbone pour la première fois, qui est en train de former ses équipes, qui a fait une fresque du climat, un atelier 2tonnes, etc… Ils s’y mettent vraiment à fond et pas pour faire du greenwashing, quelle serait pour toi la priorité marketing ? Que change-t-on en premier ? En gros, on a une vraie volonté, on s’est formé, on comprend l’ampleur de la question et du problème. On s’abstrait de Badsender, mais globalement, dans le marketing, quel est le point de départ pour réussir à faire sa transition au niveau marketing ?
Marion Duchatelet
Je reviens toujours au même truc. Ça serait de se poser les questions qu’on ne se pose pas, que je commence à poser avec nos nouveaux clients : « Qui sont vos clients ? » « Que faites-vous au quotidien ? » « Et quels sont les freins ou les obstacles à passer à votre produit ? » À chaque fois, c’est bosser sur l’argumentaire, l’argumentaire produit, l’argumentaire de vente. Je n’aime pas trop ce mot vente, mais c’est un peu ça quand même.
Jonathan Loriaux
Il faut vendre de temps en temps.
Marion Duchatelet
Et je trouve qu’en se posant ces questions-là : « Pourquoi ils passeraient par vous ? » « Quel est votre secteur d’activité ? » « Qu’est-ce qui vous énerve sur votre marché ? » « Pourquoi vous et pas quelqu’un d’autre, etc… ? » on peut avancer. Moi, je l’ai fait avec des clients dernièrement. Du coup, tu as une liste de sujets qui émane. Je pense à un logiciel de comptabilité pour des infirmières libérales. On a fait cet exercice- là et elles étaient là « Ouais, moi j’en ai marre. Il y a une sale réputation de la comptabilité, une sale réputation de ce mot-là, de ce secteur- là. On dit que c’est pour les vieux. Puis on dit que de toute façon, les experts comptables, on va se faire avoir. Les contrats, ils sont imbitables, on n’arrive pas à les lire. Et là, il y a Doctolib qui prend des parts de marché alors qu’ils ne connaissent rien en comptabilité. » Et les nanas, tu vois, elles se sont déchaînées comme ça. Je leur demande alors : « Et pourquoi ils passeraient par vous ? » et elles me répondent « Oui, parce que nous, on fait… notre expert comptable les prend par la main, les appelle une fois tous les 15 jours et pas une fois par an, comme ça se fait dans les cabinets Expertise comptable classique, et que nous, on connaît notre métier, et qu’on est capable de lire un contrat, et qu’en fait, migrer d’un prestat à un autre, c’est impossible. Tout le monde dit que c’est possible, mais c’est impossible. » Elles se sont vachement déchaînées. À la fin de l’atelier, ça nous a fait une liste de sujets. C’est toujours la ligne éditoriale.
Jonathan Loriaux
Oui, mais du coup, c’est revenir aux fondamentaux de ce qui fait que tu es authentique.
Marion Duchatelet
Voilà. Moi, c’est ce que j’aime bien faire. A un moment donné, tu as ta liste de sujets et tu peux orienter ces sujets : « Ce sujet-là, ça serait sympa de le dire à des prospects. Ce sujet-là, il faut en parler aux clients. » Parce qu’une fois que tu es client, il y a ça que tu te poses comme question. « Ce sujet-là, ça a des prospects qui sont un peu chauds. » Et en fait, tu arrives à adresser tes sujets en fonction de tes cibles. Et du coup, tu as ton scénario de marketing automation, enfin tes sujets, tes scénarios de marketing automation qui viennent naturellement. Et tu vois que tu as trois trucs à dire en phase de prévente. Ça te fait trois emails. Et en fait, à chaque fois, ces emails-là, ils sont bienvenus parce que ce sont vraiment des sujets qui intéressent les gens, qui vont le recevoir. Moi, j’adore bosser comme ça.
Jonathan Loriaux
C’est cool, si ça, ça te permet de trouver du sens dans ce qu’on fait au quotidien. On va trouver plein d’autres choses et surtout plein de clients qui sont réceptifs à ce genre de logique et de réflexion. Alors il est temps et on a dit qu’on allait essayer de rester dans nos 45 minutes de podcast. Je ne sais pas si tu as un petit truc que tu voulais raconter pour conclure ou si tout ce qu’on s’est dit suffit. Je sais que c’est une question à la con et que personne n’aime répondre à celle-là.
Marion Duchatelet
Merci de me la poser Jon, c’est cool. Mais non, j’ai tout dit…
Jonathan Loriaux
Ok, c’est cool. Du coup, on se retrouve dans cinq minutes pour l’inverse, où c’est toi qui me mets sur le grill et je suis sûr que tu me mettras un peu plus sur le grill que ce que moi j’ai fait.
Marion Duchatelet
Bien évidemment.
Jonathan Loriaux
Je te remercie d’avance. Et voilà. Allez, à plus tard. Merci.
Marion Duchatelet
Ciao.
La transcription texte du podcast partie 2
Marion Duchatelet
Salut Jon.
Jonathan Loriaux
Salut.
Marion Duchatelet
Ça va ?
Jonathan Loriaux
Ça fait longtemps ! Oui, ça va bien.
Marion Duchatelet
On a décidé de s’auto-interviewer après les huit mois de publication de notre podcast Sobriété Marketing. Et moi, au fur et à mesure d’écouter et d’interviewer des gens, ça me fait avancer dans la rédaction professionnelle et du coup, dans mes réflexions au sein de notre belle agence Badsender. Si tu me le permets, je vais te poser des questions par rapport à tout ça.
Jonathan Loriaux
Vas-y, fais-toi plaisir. Je sais de toute façon que tu ne mettras pas de limites, donc vas-y.
Marion Duchatelet
Ma première question. Est-ce que tu te considères éco-anxieux ?
Jonathan Loriaux
C’est par période, donc je dirais que oui, mais je pense que j’ai cette anxiété-là quand, par ailleurs, tout le reste va bien. Ça reprend le dessus. Et quand j’ai d’autres stress dans la vie, ce n’est pas que j’oublie la question, mais elle est moins stressante parce qu’il y a peut-être d’autres choses qui, au quotidien, ne sont pas si simples à gérer. Donc oui, je pense. Mais je pense pas que ça prenne le dessus sur mon envie d’agir.
Marion Duchatelet
C’est le principal. J’ai l’impression qu’à force de parler de tout ça presque quotidiennement, de s’entourer en plus parfois d’un écosystème de prestataires avec qui on en parle beaucoup, (je pense notamment à SAMI, ceux qui font notre bilan carbone et qu’on a régulièrement en visio) on pourrait peut-être s’enfermer dans une bulle écolo et s’éloigner de ce qui préoccupe vraiment les boîtes. Est-ce que tu as cette même impression ?
Jonathan Loriaux
Je pense effectivement. Et c’est marrant parce que je me faisais la réflexion l’autre jour en regardant mon fil d’actu Linkedin qui, au fil des mois, est en train de se transformer. Parce que forcément, j’interagis plus avec certains et moins avec d’autres. Et forcément, les beaux algorithmes de ces plateformes font que je suis petit à petit plus exposé à des informations. Clairement, je sens que mes convictions sont renforcées progressivement parce que je les ai et parce que, du coup, mon oreille est plus attentive à ceux qui les ont. Et c’est clair que c’est un vrai sujet. « Est-ce qu’on ne discute pas de ces sujets en vase clos ? » « Est-ce qu’on ne s’interpelle pas les uns les autres sur ces sujets-là au quotidien ? » « Est- ce qu’on arrive vraiment à toucher des personnes qui sont légèrement à la marge de ces réflexions-là, ou qui les ont commencées, mais qui n’ont peut-être pas encore été très, très loin ? » « Et surtout, est-ce qu’on arrive à faire porter des idées et des réflexions sur l’impact écologique du marketing et du numérique dans des cercles qui se sentent soit pas concernés, soit ne sont pas informés, soit même sont sceptiques par rapport à toutes ces logiques ? » Même si au final, les sceptiques, on les voit parce qu’ils trollent les discussions des personnes qui sont engagées. Les trolls, il y en a toujours partout et ce n’est malheureusement pas ceux dans les sceptiques avec qui il est plus intéressant de discuter et d’échanger. Donc oui, je pense que je croise plus de personnes qui pensent comme moi. Et qu’il faut y faire attention. Il faut rester audible. Même quand on est militant.
Marion Duchatelet
Tu penses que ça se bouge vraiment, y compris dans notre secteur d’activité ?
Jonathan Loriaux
Je trouve qu’on reçoit quand même régulièrement des témoignages de personnes qui nous remercient pour ce qu’on fait et pour la voix qu’on porte. Je pense que oui, c’est intéressant. Et puis, même si je sais qu’on n’a pas toujours été d’accord sur le sujet, moi, je vois quand même un effet bénéfique sur les stratégies RSE des entreprises, pas forcément parce que ça crée un vrai élan vers une transition écologique, mais parce qu’au moins, ça permet à certains salariés et certains collaborateurs dans les boîtes de dire « OK, ma boîte, même si sa stratégie RSE, c’est peut-être parce qu’elle est un peu obligée, ça me légitime dans le fait que je peux mettre en application des principes que j’avais déjà en tête avant et que je n’osais peut-être pas dire tout haut. » On en reparlera peut-être après, mais sur les questions, par exemple d’éco conception, on est un peu plus sollicités. Moi, je suis un peu plus bas dans la chaîne de vente de Badsender. C’est moi qui réceptionne les demandes brutes de décoffrage de nos prospects, les demandes de contact, etc… Et il y a plus qu’avant des personnes qui viennent spontanément dire « D’ailleurs, les questions d’éco sous- conception, ça peut être intéressant pour nous. » On a sorti une méthodologie de bilan carbone des stratégies emailing. Avant même que ça sorte officiellement, j’ai eu quelques personnes qui m’ont dit « D’ailleurs, ça m’intéresserait de savoir quel est l’impact de notre stratégie au niveau écologique. » Donc oui, j’ai l’impression qu’il y a un mouvement. Il est encore timide, mais il est moins timide qu’avant, parce que de toute façon, publiquement, les grandes boîtes sont obligées de dire qu’elles font quelque chose.
Marion Duchatelet
Tu es le CEO de Badsender. Je t’embête en plus à chaque fois avec ce titre que je trouve assez pompeux pour ce que tu fais. Je rigole 😉
Jonathan Loriaux
En vrai, c’est ce que je mets dans ma signature d’email et sur Linkedin, mais je ne suis jamais que président dans les petits papiers.
Marion Duchatelet
C’est vrai. N’empêche, qu’est-ce qui fait que tu ne te laisses pas embarquer par le fait de trouver un max de revenus, faire un max de bénéfices ? Qu’est- ce qui fait que tu ne souhaites pas prendre le temps de développer commercialement à fond Badsender ? Qu’est-ce qui fait que tu ne souhaites pas revendre pour te faire un max de thunes ? Qu’est-ce qui fait que tu ne te laisses pas embarquer dans le classique ?
Jonathan Loriaux
Pour ceux qui ont écouté l’épisode précédent où c’est moi qui t’interviewe, moi, j’ai un peu le parcours inverse de toi par rapport à ça, c’est que j’ai été militant avant de travailler dans le marketing. Sur des questions politiques, dans de l’associatif, etc… Clairement, moi, je considère que je suis arrivé à la tête d’une entreprise qui est de 12 collaborateurs par hasard. Je pense qu’il y a beaucoup d’entrepreneurs qui disent ça. Je le dis aussi et j’ai l’impression que c’est vrai. Au final, quand Badsender avait une réflexion un petit peu plus classique sur sa manière de faire de l’activité économique, de gagner sa vie, de payer des salaires, personnellement, j’étais moins satisfait de ce qu’on faisait qu’aujourd’hui où on s’est impliqué dans des projets comme les dates d’expiration dans les emails, comme du contenu sur des questions liées à l’écologie, à l’éthique, etc… Ça rejoint des choses que tu disais, c’est que je n’ai pas l’impression que si on voulait croître et se faire racheter des centaines de milliers d’euros, voire des millions dans peu de temps, on aurait le temps de travailler sur ces valeurs.
Clairement, je suis plutôt dans une logique où on doit être rentable pour avoir une certaine sécurité d’esprit dans le fait qu’on va être capable de payer les salaires à la fin de chaque mois. C’est dans ce sens-là où en moyenne, on doit être au-dessus de zéro à la fin de l’année, c’est certain. Et si, en plus, on s’est fait au travers des années un petit matelas de sécurité, parce que nécessairement, il y a de temps en temps des années qui sont un peu moins bonnes que d’autres, c’est plutôt dans cette philosophie-là que je m’embarque. Je ne sais pas du tout si on sera toujours là jusqu’à la veille de notre retraite ou si on aura fait totalement autre chose dans nos carrières. Mais je me dis, plus ça va et si on arrive à transformer l’activité, ça ne me déplairait pas qu’on arrive à renouveler et à se révolutionner régulièrement pour en arriver là. Et je pense que ça passe par une petite équipe et par la volonté de ne pas courir après des chiffres de dingue qui pourraient satisfaire des investisseurs ou de potentiels repreneurs un jour.
Marion Duchatelet
Justement, je me souviens que fin 2018, on a eu un coup de mou financier. On a un peu flippé. Tu as repris les rênes du commerce, que tu avais un peu lâchées à l’époque. Et on s’était dit « Il faut faire un email commercial par mois pour essayer de vendre. » On avait à l’époque un lead scoring sur nos clients. « On va prendre les plus chauds, puis on va avoir un marketing de vente plus agressif que ce qu’on avait actuellement. Ça, c’était il y a à peine trois ans. Et en fait, trois ans après, on se sent mieux financièrement, mais on a fait un seul email commercial, si mes souvenirs sont bons. On n’en a jamais fait d’autres.
Jonathan Loriaux
On les a planifiés, mais on n’a jamais eu le temps de les faire. Et finalement, on n’en a pas eu besoin.
Marion Duchatelet
Et depuis, on ne collecte plus aucune donnée. Même pour nos lives, on a décidé que tout serait accessible sans inscription. Nos livres blancs ne sont plus des livres blancs, ce sont des guides accessibles sans contrepartie de « Tu dois t’inscrire, remplir un formulaire, etc… » Comment on passe de « C’est la merde, il faut gagner plus de thunes. » à « En fait, on va avoir un marketing agressif et on ne l’a jamais mis en place, mais ça va quand même mieux. » ?
Jonathan Loriaux
La première chose, c’est que pour redresser la situation, pendant un an, on s’est payé pour les trois actionnaires de l’époque bien moins qu’on ne se payait avant. En plus, l’année qui a suivi… (C’était en 2019 que c’était vraiment compliqué, ce n’était pas 2018.) c’était l’année COVID. Notre chiffre d’affaires a largement baissé, mais par contre, on a retrouvé de la rentabilité qui nous a assuré l’année d’après qu’on était remis sur de bons rails. Ça, c’est pour la partie purement économique. Après, il y avait en effet, deux voies. Une voie un peu agressive où on va faire comme tout le monde, on va bourriner, on va faire de la pub, on va payer une boîte pour nous générer des leads ». Mais, aujourd’hui, moi, je suis agressé au quotidien par plein d’entreprises sur Linkedin, ou par email qui essayent de me dire qu’ils vont me générer plein de leads par semaine pour vendre. Du coup, au final, on a choisi l’autre voie. On a surtout persévéré sur nos fondamentaux, c’est-à-dire créer du contenu, prouver notre expertise, montrer qu’on était indépendants et qu’on avait une certaine liberté de ton. Et ça a permis que des gens qui nous suivaient depuis des années continuent à nous suivre. Donc finalement, c’est de nouveau sur la rédaction, c’est sur l’authenticité, qu’on a réussi à remonter la pente.
Marion Duchatelet
Tu n’as pas l’impression que la phase de vente que tu as reprise, avec ta personnalité, (toi qui donnes des conseils gratuitement avant de vendre parfois), ta façon de vendre, ton authenticité, est ce qui a permis de donner une confiance aux gens ?
Jonathan Loriaux
Peut-être, pas plus tard qu’hier, j’ai dit à un prospect lors de la première réunion que franchement, je pense qu’il serait mieux servi par un freelance que par une agence où les intervenants allaient être différents en fonction de la discipline et que je sentais qu’il avait plutôt besoin d’avoir un interlocuteur unique qui soit capable de faire un peu de tout. Attention, chez Badsender, les gens sont capables de faire un peu de tout, mais on est quand même ultra spécialisés, déjà sur le sujet de l’emailing et encore à l’intérieur, sur les différentes disciplines qui constituent ce sujet-là. Je ne sais pas si c’est moi parce que ce serait un peu pompeux. Après, c’est un peu paradoxal parce que ce n’est pas ce que je préfère faire dans la vie, de faire des présentations commerciales et des devis. Mais après, j’ai quand même cet avantage, c’est d’avoir fait un peu de tout dans ce métier et d’être capable de discuter de tout, là où un commercial pur et dur même s’il a des bonnes bases en marketing, ne va pas forcément être capable de dire « Vous n’avez pas besoin de nous. » ou « Vous devriez changer une virgule dans votre enregistrement DNS et tout va mieux fonctionner. Vous n’avez pas forcément besoin qu’on vous fasse une journée de prestation pour si peu. » Peut-être que ça aide. C’est vrai que parfois, j’ai eu des échanges avec des gens qui sont revenus un an plus tard en disant « On avait bien aimé l’échange et là maintenant, on est prêt à faire des trucs un petit peu plus ambitieux. » Mais je pense que le contenu quand même, c’est important. Bien qualifiés, ce sont les contacts qui viennent jusqu’à remplir un petit formulaire pour demander de la prestation. C’est quand même le nerf de la guerre. C’est qu’ils ont été convaincus par ce qu’ils ont trouvé sur notre blog, sur les pages de services, etc…
Marion Duchatelet
Oui, c’est ce qu’on appelle l’« lnbound marketing ».
Jonathan Loriaux
Tout à fait.
Marion Duchatelet
À force d’interviewer, d’écouter les podcasts qu’on publie, depuis qu’on assume ce côté écolo qu’on ne laissait pas transparaître avant, qu’est-ce que tu as changé dans ton discours de vente et dans les prestations que Badsender propose ? Comment aimerais-tu faire évoluer les choses ?
Jonathan Loriaux
Très honnêtement, c’est encore très timide en phase de vente, car je ne sais pas qui est en face de moi… Mais ça dépend. Le premier réflexe quand on a un contact commercial, quelqu’un qui vient pour une prestation qui est soit un peu floue, soit bien identifiée, c’est d’aller voir qui est la personne et qui est l’entreprise qui est derrière. Clairement, quand on a WWF qui vient nous poser des questions, on sait qu’ils vont être très ouverts à la question écologique, à la question sociale, etc… Pour d’autres structures, c’est neutre, on ne sait pas très bien. Ça va un peu dépendre de l’état de l’esprit. Et pour d’autres, et ça commence à nous arriver, on se dit « Non, ça va pas le faire. » Les deux ou trois fois où je l’ai fait cette année-ci, début 2023, où j’ai dit « Désolé, mais ça ne va pas être possible, on ne va pas travailler ensemble parce que sur ces questions-là, ça nous semble compliqué d’aligner nos valeurs. », j’ai envoyé mon petit message et je n’ai pas du tout eu de réponse. Je sais pas si derrière, ils sont montés sur la table ou si le gars s’est dit « Je comprends, moi aussi, mon job me fait chier. » Je ne sais pas. Peut-être qu’un jour, ils me répondront quand ils auront changé ou par d’autres canaux. Du coup, j’ai un peu oublié le fil de ta question.
Marion Duchatelet
C’était « Est-ce que depuis qu’on assume ce côté-là, on peut changer des choses ? »
Jonathan Loriaux
Depuis qu’on fait notre bilan carbone (ça fait un petit peu plus d’un an) on a rajouté dans nos présentations une couche sur les questions écologiques où on dit clairement dans nos slides que pour moins d’une demi-journée, on ne fera pas plus de deux heures de trajet pour aller voir un client ou animer un atelier. Aujourd’hui, en fonction du client, je vais m’arrêter sur la slide. Si je sais d’avance qu’ils sont impliqués sur ces questions-là et que ça va leur plaire. J’ai quand même encore un peu de mal à m’y arrêter concrètement quand je ne sais pas, quand je n’ai pas encore eu d’indice sur le niveau d’ouverture de la personne qui est en face.
Marion Duchatelet
Ça veut dire que tu t’adaptes à la position ?
Jonathan Loriaux
Forcément. De toute façon, c’est le nerf de la guerre de s’adapter à son public. Là, je discute vraiment de la première approche commerciale : le contact a fait une demande, on a fixé un rendez-vous et on se parle pour la toute première fois. La première chose, c’est que je les fais parler. Et puis après, j’en viens à présenter qui on est, nos produits, nos services et les méthodes. Et clairement, je m’adapte parce que je pense que j’ai un peu peur de recevoir des ricanements. Ça m’est déjà arrivé en call commercial d’avoir quelqu’un qui se retourne vers sa collègue à côté et qui fait genre « Quand même, ils sont un peu timbrés ceux-là » ou « Ça va pas le faire. » C’est le genre de sentiments qui n’est pas particulièrement agréable. Et du coup, c’est vrai que je marche encore un peu sur des œufs. Mais après, c’est aussi dans la manière dont c’est présenté. C’est qu’aujourd’hui, dans mon speech commercial, je fais d’abord un peu l’historique de Badsender, puis j’explique qu’on vient du blog, qu’on a l’activité d’agence et puis l’activité d’email builder. La partie valeur, elle, vient un petit peu plus loin. Je pense que c’est moi qui dois renverser ça progressivement en racontant le tournant qu’on a pu prendre et la direction qu’on a envie de prendre pour demain. Mais quasiment d’entrée de jeu. Il faut que je me fasse violence pour me planter deux ou trois fois sur la manière de le dire avant que ça devienne un peu plus naturel.
Marion Duchatelet
Et assumer des ricanements.
Jonathan Loriaux
Potentiellement, oui. Même si on aimerait bien qu’ils n’arrivent plus ceux-là, mais que ça soit naturel de dire « Dans nos prestations, on a intégré des dimensions liées à l’écologie, à la question sociale, aux questions éthiques. »
Marion Duchatelet
Je te pose cette question parce que tu vois très bien où je veux en venir. Mais comme tu l’as dit, on fait notre bilan carbone. J’ai l’impression qu’on a mis en place pas mal de choses depuis un an ou deux maintenant, d’un point de vue politique, de déplacements politiques d’achat, localisation des serveurs, etc… Je trouve qu’on n’est pas trop mal. La préoccupation, selon moi, d’un bilan carbone comme d’un bilan carbone emailing, c’est qui tu sers en face ? On parle d’ombre climatique. Tu sais, la notion d’ombre climatique, ça permet de mesurer les conséquences de notre activité, donc les conséquences de nos prestations. Donc, en gros, qui on sert en tant que client ? Ça voudrait dire que si on veut faire baisser notre bilan carbone, déjà, il faudrait calculer cette ombre climatique, qui n’est pas évidente, mais qui est calculable. Mais ça veut dire à terme que pour baisser ça, il faudrait qu’on sélectionne nos clients. Comme tu l’as dit, commencer à se permettre de dire à des clients que ça va être compliqué de travailler avec vous.
Jonathan Loriaux
C’est plus que « ça va être compliqué », c’est « ça ne va pas être possible. » Il y a des cas très évidents pour nous aujourd’hui, il y en a d’autres qui le sont un petit peu moins.
Marion Duchatelet
Comment fait-on en tant que CEO et/ou commercial pour se rendre compte déjà de l’impact de l’ombre climatique, en gros, du client qu’on a en face de nous ? Et comment peut-on faire pour la minimiser tout en maintenant notre tréso et juste notre communauté ?
Jonathan Loriaux
Tu vas devoir peut-être me rappeler ta question dans 30 secondes parce qu’évidemment, je vais partir sur un autre terrain avant de commencer. Il y a un sujet qui me tient à cœur, c’est que dans la plupart des organisations, souvent, le but numéro 1 de l’organisation, c’est de maintenir l’organisation à flots, c’est de survivre. C’est quelque chose qui, parfois, fait un peu dériver l’entreprise ou même une association, sur des terrains qui sont problématiques. C’est qu’elle va parfois être capable de se renier rien que pour garantir sa survie. Ça, c’est un point qui est vachement important à avoir en tête, et c’est aussi pour ça qu’on fait ce podcast. Est-ce qu’une agence qui fait du marketing a une place dans la société de demain, dans une société plus sobre, dans des objectifs de transition écologique ? La première démarche qu’on a eue pour nous-mêmes, c’est de se former, c’est d’avoir une idée de l’ampleur de notre impact direct. Quand je dis « direct », on ne va pas passer sur les méthodos de bilan carbone, mais avoir l’empreinte du fonctionnement de Badsender, je trouvais ça vraiment important, même si ça peut être frustrant par ailleurs, de travailler sur notre légitimité. La légitimité, c’est « Est-ce que nous, pour nous-mêmes, on fait le job correctement sur les questions climatiques ? » avant d’arriver sur « Comment est-ce qu’on fait pour que les services qu’on donne à nos clients soient bénéfiques pour la transition écologique et pour plein d’autres sujets ? » D’ailleurs, on a un comité stratégique chez Badsender dont tu fais partie. On s’est reposé cette question il y a un peu plus de six mois sur « Comment fait-on pour faire le tri dans nos clients ? » en se disant « Effectivement, on a des clients qui ont un impact négatif sur l’empreinte écologique, on a des clients qui sont relativement neutres et on voudrait surtout avoir des clients qui ont des impacts positifs. Comment fait-on pour définir des critères qui vont nous permettre de dire : Bon, celui-là, on veut continuer à l’avoir. Celui-là, on ne veut pas continuer à l’avoir. » Et on s’est rendu compte qu’en fait, on n’était même pas forcément au clair sur quelle est la mission et la raison d’être de Badsender. Et c’est pour moi une étape qui est quand même clé. Avoir une raison d’être et avoir réfléchi sur quelle est la mission qu’on se donne, ce qui va nous permettre d’en dériver des critères qui seront un peu plus concrets pour savoir quels sont les clients qu’on a envie d’accompagner et quels sont les clients qu’on n’a pas envie d’accompagner pour demain. Après avoir fait ce travail de raison d’être qui sera inscrit dans nos statuts en juin, on commence progressivement à avoir une idée plus claire et ça nous a notamment emmené sur un questionnement qui est « Est-ce que c’est l’empreinte carbone de nos clients qui compte ou est-ce que c’est la trajectoire qu’ils ont pris ? » « Est-ce que les services qu’on leur vend vont les aider et aider leurs propres clients à réduire leur empreinte carbone ou équivalent carbone ? » Ou « Est-ce qu’au contraire, ce n’est pas le cas ? » L’exemple qu’on a toujours pris dans nos réflexions, c’est le secteur de l’énergie, des hydrocarbures, etc… « Est-ce qu’on est prêt à bosser pour des entreprises qui vendent du gaz et de l’énergie ? » Et on en a dans nos clients. Et la réponse, c’est le genre de réponse que tu n’aimes pas, c’est « Ça dépend. » Ça dépend en fait quel est le sens qu’eux y mettent ? Est-ce qu’ils ont vraiment un objectif d’accompagner leurs propres clients dans une réduction et dans un changement de mode de consommation énergétique ? Ou est-ce que finalement, ils s’en foutent, ils veulent continuer à gagner de l’argent à max le temps que c’est encore possible avec ce type de produits.
Marion Duchatelet
Ça me fait penser au dernier podcast qu’on a publié avec Thomas Bourgenot. Il disait que oui, il y a eu des normes pour la publicité, à savoir pour justement tout ce qui est énergie fossile, ne pas faire la pub de plateforme pétrolière, etc… Mais de faire de la pub sur l’énergie renouvelable. En vrai, ça représente 2% de leur activité et c’est pas pour ça qu’ils décroient l’activité plus néfaste. Est-ce qu’on ne risque pas non plus de tomber dans le greenwashing ?
Jonathan Loriaux
Oui, c’est qu’on voit dans le secteur automobile, par exemple. Moi, je regarde assez peu les pubs à la télé, mais de ce que j’en vois, la plupart des publicités automobiles, c’est pour des voitures électriques, même si éventuellement, les marques qui communiquent sur leurs voitures électriques font par contre un intense lobby auprès de l’Union européenne pour repousser la date de fin de vente des voitures thermiques. Malheureusement, parfois, la législation qui voudrait combattre le greenwashing ou en tout cas qui pourrait inciter à réduire les consommations problématiques d’un point de vue environnemental, font l’effet inverse parce qu’elles légitiment une communication d’entreprises qui sont peu vertueuses à communiquer exclusivement sur la petite portion qui pourrait être vertueuse.
Marion Duchatelet
Je vais te poser une dernière question. Il faut que tu me me répondes en toute franchise. Tu es prêt ou pas ?
Jonathan Loriaux
Vas-y.
Marion Duchatelet
En vrai. En vrai de vrai. Est-ce que que tu juges notre métier utile ? Ou comme tout métier de conseil, des métiers qui, d’après certaines personnes comme Timothée Parrique, (je ne sais pas si tu as lu son livre) mais dans son livre, il dit de toute façon, il n’y aura plus de pub. Est-ce que notre métier est utile pour pour demain ? En toute franchise.
Jonathan Loriaux
Je pense qu’à moyen terme, il est extrêmement utile. À long terme, je ne suis pas certain. C’est pour ça que tout à l’heure, je te disais peut-être qu’il faudra qu’on se réinvente encore plusieurs fois si on veut continuer à travailler ensemble tous les 12 et à faire avancer cette entreprise. Je pense qu’aujourd’hui, on a besoin de communiquer mieux pour faire changer les modes de consommation. Si on arrive réellement, radicalement à les faire changer, potentiellement, on pourrait devenir inutile. Je dis potentiellement, mais si je me projette en 2050 dans un monde idéal, quelqu’un qui lance une pâtisserie (parce que j’espère qu’il y aura toujours des pâtisseries en 2050) et qui lance son activité où que ce soit, s’attend à ce que des gens arrivent dans son magasin… Pour cela, rien que lui créer une enseigne, pour moi, c’est de la communication. Mais s’il attend que les gens arrivent spontanément chez lui en passant devant et en voyant les bons gâteaux dans la vitrine, il ne risque pas forcément de faire long feu. Je pense qu’il continuera à y avoir des métiers de la communication. Est-ce que pour autant, ce sera des métiers de la communication dans lesquels on essayera pour une seule marque d’attirer 500 000 clients par mois ? C’est peut-être là où il y aura des changements radicaux. Par exemple, tout le monde n’a pas l’écriture facile. Je sais que c’est un truc qui te tient à cœur et à moi aussi parce que j’adore ça, mais écrire ne fusse qu’une brochure pour expliquer ses services, ce n’est pas simple pour tout le monde. Par exemple, j’espère que les gens se marieront toujours en 2050 et si je reprends la pâtisserie, ils auront besoin d’une pièce montée. Il faudra écrire sur les différentes options pour la pièce montée. Rien que là- dessus, peut-être qu’il y a des gens qui s’appelleront peut-être « écrivains » plus que « marketeurs », mais on aura besoin de personnes qui manient le verbe et qui sont capables d’inspirer et de rendre agréables des choses qui ne sont pas forcément plaisantes à lire. Un catalogue de produits et services n’est pas forcément marrant, mais ça peut être rendu un peu plus agréable si c’est bien rédigé, bien mis en page, etc… Je pense qu’il continuera à y avoir des métiers de la communication. Est-ce qu’il y aura encore des trafic managers ? Ça, j’en sais rien. Perso, je ne suis pas forcément pour … désolé pour les trafic managers qui nous nous écoutent mais il y a peut-être des métiers qui devront se réinventer.
Marion Duchatelet
Ok. Je te remercie, Jon.
Jonathan Loriaux
Avec plaisir.
Marion Duchatelet
À bientôt.
Jonathan Loriaux
À bientôt. Ciao