Comment fait-on pour rendre désirable la sobriété ? Comment fait-on pour rendre sexy la location, la réparation, le renoncement à l’achat ?
Pour le trentième épisode du podcast Sobriété & Marketing, Marion Duchatelet accueille Charlotte Blondel, co-fondatrice de l’agence de rédaction Le Sens du Poil. Après 10 ans, Charlotte et son associée Anne-Laure Marchand repositionnent leur agence de rédaction en une agence 100% dédiée à la création de nouveaux récits appelée Déjà demain. Dans cet épisode, elle nous explique les raisons de ce repositionnement, son ressenti sur le monde actuel et le rôle crucial des entreprises pour y répondre. Si vous êtes curieux de savoir comment une entreprise peut se réinventer pour devenir un acteur du changement, cet épisode est pour vous.
Nous voulons que notre compétence édito serve à transformer le monde, rien de moins, à travers les nouveaux récits.
Charlotte Blondel, Agence Déjà Demain
Sans préparation préalable à nos questions, les réponses spontanées de Charlotte offrent un aperçu inspirant de son approche des nouveaux récits. Elle énumère une liste fascinante d’exemples de nouveaux récits dans des domaines tels que l’habitat, la cosmétique et l’alimentation. Ses explications en direct montrent comment des histoires positives et désirables peuvent transformer les normes sociales et inspirer des changements significatifs.
Le marketing a le pouvoir de transformer les imaginaires et donc de transformer les normes sociales et donc de transformer les comportements.
Charlotte Blondel, Agence Déja Demain
Voici une partie des questions que je lui ai posée :
- Pourquoi la création de l’agence Déjà Demain était une nécessité ?
- Comment fait-on pour rendre désirable le renoncement ? Comment fait-on pour rendre sexy la location, la réparation, la sobriété ?
- Peux-tu me donner des exemples de nouveaux récits ?
- Les nouveaux récits entrainent le changement du modèles d’affaires ou c’est l’inverse ?
- Comment gère-t-on la skizophrénie des entreprises ? L’envie de changer d’un côté et l’impératif business de l’autre ?
Bonne écoute !
Cet enregistrement est aussi disponible sur toutes les plateformes de podcast :
Liste des sujets évoqués pendant l’épisode :
- Le super bouquin de Frédéric Lallou sur « Reinventing Organizations » qui a retourné le cerveau de Charlotte : https://www.reinventingorganizations.com/
- La méthode 2030 glorieuses : https://www.2030glorieuses.org/
- La méthodologie de Badsender dont parle Charlotte : la chaine de sobriété marketing https://www.badsender.com/2024/03/14/chaine-sobriete-marketing/
- Et évidemment le site web de l’agence Déjà demain : https://www.agence-dejademain.fr/
Transcription texte de l’épisode avec Charlotte Blondel
Marion Duchatelet – Badsender
Salut Charlotte, comment ça va ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Bonjour Marion, ça va très bien, merci de me recevoir.
Marion Duchatelet – Badsender
Tu es au micro de ce podcast parce que tu es en train de transformer ton entreprise et la transformation des entreprises, c’est un sujet qui nous intéresse pas mal ici. Avant de rentrer dans le vif du sujet, est-ce que tu peux commencer par te présenter et nous parler en quelques mots de ton parcours ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Je m’appelle Charlotte Blondel, je travaille depuis presque toujours dans l’écriture. J’ai été ponctuellement journaliste, j’ai écrit quelques livres sur des sujets qui me bottaient. J’ai passé l’essentiel de ma vie pro à écrire pour des marques, soit à l’intérieur des équipes de marques, soit depuis dix ans au sein de notre agence de rédaction, d’identité rédactionnelle et de formation à la rédaction. Et c’est cette agence, qui s’appelle Le Sens du Poil, qu’on transforme aujourd’hui, qu’on repositionne autour des nouveaux récits. Nous voulons que notre compétence édito serve à transformer le monde, rien de moins, à travers les nouveaux récits.
Marion Duchatelet – Badsender
Ça veut dire quoi ? Pourquoi tu ne pouvais pas faire cela avec Le Sens du Poil ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Alors en fait, on a eu beaucoup de chance, enfin je ne sais pas si c’est de la chance, mais de plus ou moins choisir nos clients et nos missions au fil de cette décennie. Il y avait des trucs très chouettes. Mais quand tu fais du marketing, ton rôle ne dépasse jamais le projet pour lequel tu as signé. Tu peux avoir un petit pouvoir d’influence de temps en temps, mais c’est rare que tu puisses aller plus loin que le projet lui-même. Et ce truc là revenait souvent en boucle. On souhaite avoir des projets qui transforment le monde, on souhaite accompagner cette énergie-là avec toute l’intelligence qu’on peut avoir. Et puis quand le projet se limite à faire de l’argent, notre ambition ne peut pas aller beaucoup plus loin. Les nouveaux récits permettent de dépasser ça. Le marketing a le pouvoir de transformer les imaginaires et donc de transformer les normes sociales et donc de transformer les comportements. Et donc c’est bien par là qu’on doit commencer quand on veut changer le monde, c’est bien de transformer les imaginaires et on s’appuie sur le pouvoir du marketing actuel. Le rôle du marketeur à ses limites et on les a repoussé autant qu’on pouvait. Mais à un moment on s’est dit non, assumons ce truc qu’on a en nous depuis le début. Quand on a créé le sens du poil, le mot sens c’était pas un hasard. L’expression nous faisait marrer mais le mot sens était là parce qu’on voulait accompagner des projets qui avaient du sens. L’actualité aussi nous a poussé au fur et à mesure à se dire qu’en fait on peut plus se contenter de rester au milieu du gué. On a besoin de gens qui prennent leur place dans la transformation et on a envie d’être de ceux-là en fait.
Marion Duchatelet – Badsender
Mais du coup ça veut dire que Le sens du poil est voué à disparaître complètement au profit de Déjà demain ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Oui, l’entité juridique va se transformer et à terme c’est ça qui va se passer.
Marion Duchatelet – Badsender
Tu disais tout à l’heure que vous essayez de pousser, mais que ça ne suffisait pas. Ça veut dire qu’à un moment donné, tu essayais de pousser ces nouveaux récits et tu avais un blocage en face, ou non, tu n’essayais même pas parce que vos clients ne venaient pas pour ça vu que ce n’était pas affiché sur votre site web.
Charlotte Blondel – Déjà demain
C’est ça. Notre spécialité, c’est l’identité rédactionnelle. On a travaillé avec ça pendant longtemps. Comment on transforme l’identité d’une marque à l’écrit ? Comment on fait que le style est cohérent avec la personnalité de marque ? C’était très chouette intellectuellement, on arrivait à mettre de l’intelligence dans ce qu’on faisait, il y avait plein de trucs chouettes. Mais en revanche, on ne travaillait pas sur le cœur : est-ce que votre projet, il a une utilité sociétale ? Et là, avec les nouveaux récits, on touche ce truc-là en fait.
Marion Duchatelet – Badsender
C’est quoi les nouveaux récits dont tu parles ? Tu saurais me donner quelques exemples ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Les nouveaux récits c’est toutes les histoires qui nous permettent de se projeter dans le monde de demain. Quand j’ai dit ça, j’ai rien dit. Aujourd’hui on est dans un système où les normes sociales, le capitalisme, le progrès, la consommation définissent nos identités, notre statut, etc. Il va falloir changer le modèle pour aller vers des modes de vie plus sobres, plus durables, plus connectés aux vivants, plus de vivre ensemble, voilà. Grosso modo, il faut qu’on aille vers ça. Et donc, comment on peut raconter des histoires qui rendent désirable ce nouveau monde ? Aujourd’hui, on a toujours l’impression que ça va être fait de renoncements, de pénuries, de difficultés. Et donc, comment nous, on peut réenchanter ça ? Je vais prendre un exemple. Si on parle de l’habitat, aujourd’hui l’habitat est d’avoir un pavillon, une chambre pour chacun, trois salles de bain. On va atteindre des limites en termes de ressources, en termes d’énergie pour chauffer tout ça. Il va falloir qu’on change de modèle, on le sait. Des modèles alternatifs, il y en a plein. On peut habiter en collectif, on peut habiter petit avec des tiny house. On peut réinventer en ville des béguinages, donc des espèces d’immeubles où on se rassemble par affinité et on décide d’avoir un règlement intérieur où on n’est pas obligé de vivre ensemble tout le temps. On a une espèce d’immeuble collectif. On peut créer à la campagne des eco-hameaux, où là on va s’inspirer de la permaculture pour qu’il y ait une forme d’autonomie au sein du éco-hameau. En fait, tous ces récits-là, il faut leur donner de la place, il faut qu’on les rende désirables, il faut qu’on montre que c’est chouette, il faut qu’on montre qu’il y a déjà des gens qui le font et qui ont la belle vie en fait, et qu’on rende ça possible. Au début, on se dit qu’il y a quelques grands sujets comme ça, puis finalement, quel que soit le sujet qu’on prend, on peut proposer des alternatives, on peut ouvrir le champ des possibles. C’est là où les nouveaux récits ont vraiment un rôle à jouer, de nous ouvrir un peu les chakras. Aujourd’hui, si on va au cinéma, on voit bien que les dystopies, il y en a partout. On a l’impression que l’avenir, c’est forcément… On n’arrive pas à se projeter dans autre chose de sympa. En fait, il y a des choses possibles, désirables, et il faut qu’on les montre et il faut qu’on leur donne leur part de voix. C’est ça les nouveaux récits.
Marion Duchatelet – Badsender
Vous avez inventé une méthode pour déconstruire les récits actuels et en inventer de nouveaux avec les marques ? Quand tu parles, je suis en train de me dire, vos nouveaux clients, il faut qu’ils aient déjà passé le pas. Et qu’ils aient quelque chose à proposer en termes de vente de produits ou de services, ou alors tu accompagnes les boîtes, encore classiques de notre monde d’aujourd’hui, à en inventer d’autres ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
En fait, tout est possible, mais l’idée c’est de se dire, si tu t’adresses déjà à des boîtes qui ont conscience de ça, souvent elles n’ont pas besoin de nous. Et en fait, les grosses boîtes, c’est elles qui ont le plus gros pouvoir d’influence. Donc, nous, on souhaite surtout aller les voir et les aider à prendre conscience, à se questionner. Parce que, à notre sens, le gros du boulot, c’est prendre conscience de ce pouvoir-là. Parlons de cosméto, par exemple. En cosméto, on ne questionne pas le fait qu’il y ait de l’antiride, qu’il y ait forcément du contour des yeux, qu’il y ait forcément… Questionnons tout ça. Pourquoi est-ce qu’il y a ça ? Pourquoi est-ce qu’on parle de la peau ou du vieillissement comme si c’était un problème ? Est-ce que c’est vraiment un problème ? Est-ce que redonner à l’âge une forme de noblesse, ça ne peut pas être un nouveau récit. Est-ce que vraiment toutes les peaux, toutes les couleurs de peau sont visibles ? Est-ce que le fait de prendre soin de soi peut être vécu comme quelque chose d’épanouissant plutôt que comme une contrainte obligatoire et comme une norme ? En fait, la prise de conscience est de questionner tout ce qu’on raconte. Dans le fonctionnement normal des boîtes on ne questionne jamais. Et puis après il y a des méthodes plus classiques de créativité pour aider à inventer les scénarios alternatifs.
Marion Duchatelet – Badsender
Donc, si je comprends bien, tu aides les boîtes à s’interroger là-dessus pour qu’ils créent leurs nouveaux récits. Une fois qu’ils ont les nouveaux récits, est-ce que leur prestation ou leur modèle d’affaires finit par évoluer ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Alors, inévitablement, ça finit par questionner ça. Il y a des gens mieux placés que nous pour les aider sur révolutionner leur modèle d’affaires. Mais nous, on a bien ça en tête. La convention des entreprises pour le climat, elle questionne le modèle d’affaires, c’est inévitable en fait, on finit par arriver à ça. Nous ce n’est pas là où on est spécialiste, nous on est des spécialistes de la com, de la rédac, voilà, notre coeur de métier c’est ça. Mais évidemment, derrière, ça interroge : qu’est-ce qu’on dit de la croissance ?, qu’est-ce qu’on dit de la consommation ?, qu’est-ce qu’on dit du progrès ? Donc oui, ça amène à ça. C’est un peu la fin du chemin pour nous, mais le début d’un autre chemin pour l’entreprise. on a gagné quelque chose.
Marion Duchatelet – Badsender
Est-ce que vous allez changer un peu de cible de client ? J’imagine que vous adressiez jusqu’ici plutôt des directions de communication, marketing. Est-ce que là vous allez interroger le cadre dirigeant, les départements RSE ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Ça peut arriver mais en même temps la com est quand même une bonne clé d’entrée. On arrive à faire bouger les choses en partant de la com. Il y a une marge de manœuvre dont on n’a pas conscience. Dans toutes les images, dans tous les mots qu’on prononce, dans tous les choix de services qu’on va pousser ou pas pousser. Ce que vous (Badsender), vous avez fait récemment avec votre méthodo. C’est vraiment des choses qu’on n’a pas l’habitude de questionner à partir du moment où on les questionne. On a une grosse marge de manœuvre. Bien sûr, à un moment, il va falloir se mettre en phase avec le modèle d’affaires. Mais déjà avec la com, cette prise de conscience-là, elle nous donne une grosse marge de travail.
Marion Duchatelet – Badsender
La méthode dont tu parles, c’est la chaîne de sobriété marketing que Jonathan Loriaux a bien initiée. Tout à l’heure tu disais, pourquoi quand on renonce à quelque chose, c’est forcément négatif ? Pourquoi on promeut le renoncement ? et en fait, le renoncement, c’est le premier pilier de notre chaîne de sobriété. Questionner le besoin, est-ce que j’ai besoin de ce produit ? Donc potentiellement, à un moment donné, il y a la renonciation à l’achat. Mais j’étais en train de me dire, comment on fait pour rendre désirable le renoncement ? Comment on fait pour susciter le désir, quand on parle de sobriété, quand on parle d’impact environnemental d’un achat, quand on parle éventuellement de location, de réparation, et quand on parle de moins en moins de propriété de l’achat, de propriété du produit. Comment on fait pour continuer à susciter le désir ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
En fait, on appuie souvent sur les boutons émotionnels qui sont ceux de la norme d’aujourd’hui. Aujourd’hui, on appuie sur des boutons qui sont souvent ceux du statut. On les définit par notre propriété, etc. On commence à avoir des coms qui appuient sur d’autres boutons. Si on parle de liberté : ne pas avoir à gérer tous ces objets chez soi. Quand on parle de location, c’est aussi une forme de liberté. Je repense à l’outillage, j’ai en tête ça. Une perceuse, elle sert 12 minutes dans sa vie en moyenne. Bien sûr que c’est plus rentable de la louer le jour où on en a besoin. Bien sûr que c’est moins contraignant que d’avoir une pièce dédiée à ça, qu’on pourrait consacrer à faire une salle de yoga, le bureau qui nous manque, plutôt que cet atelier qui stocke des outils qu’on n’utilise jamais. Donc bien sûr que ça peut être plus sympa d’aller au Fab Lab du coin s’il y avait des Fab Lab dans plus d’endroits pour aller bricoler entre copains le samedi. En fait, il y a d’autres imaginaires à convoquer qui peuvent être beaucoup plus sympas que « ah bah chouette j’ai ma perceuse, je suis quelqu’un qui a une perceuse ». Quand on parle d’autonomie par exemple, d’autonomie alimentaire ou énergétique, ne pas payer de factures parce que on s’est bien équipé et qu’on a des panneaux solaires et que du coup on consacre notre budget à autre chose, c’est désirable. Ça il n’y a pas besoin d’aller très très loin pour trouver ça désirable. Donc l’autonomie énergétique c’est chouette. Avoir un jardin potager où on peut emmener les enfants et produire une partie de notre nourriture, c’est désirable déjà pour plein de gens. Donc il y a des renoncements si on regarde d’un côté mais on peut aussi faire rêver avec des choses déjà aujourd’hui. Je pense qu’on se censure aussi avec nos normes actuelles alors qu’on peut questionner, on peut déconstruire et proposer le verre à moitié plein. Il y a un truc qui est hyper chouette c’est la question de l’attachement. Est-ce qu’on peut commencer le débat par à quoi je suis attachée ? Qu’est-ce qui est vraiment fondamental pour moi dans ma vie ? De quoi je ne veux pas me séparer. Et une fois qu’on a fait le panorama de ces attachements, c’est plus facile de se dire, je suis ok pour renoncer à ça si on me laisse mes attachements en fait. Et ça aussi c’est un nouveau récit. Parler des nouvelles abondances, des abondances de temps, des abondances de liens, des abondances de santé, des abondances de relations, des abondances de cultures, au sens de se cultiver, apprendre. Ça c’est des nouvelles abondances et le monde qui vient va nous laisser ça. Oui, peut-être qu’on fera moins de week-end en easyjet en Europe. Oui, probablement qu’on se déplacera moins. Oui, probablement qu’on consommera moins. Mais ça ne veut pas dire qu’on va nous priver de tout et qu’on va devoir renoncer à tout en fait. Comment on peut mettre dans la balance ces nouvelles abondances et regarder les choses qui sont fondamentales dans la vie et qu’on va garder, les attachements qu’on a et qu’on va garder.
Marion Duchatelet – Badsender
J’étais en train de noter des mots que tu disais : liberté, location, l’autonomie, l’attachement, l’abondance en temps, en lien, en santé, en relation. J’étais en train de me dire : il faut avoir sacrément travaillé sur soi-même pour sortir tous ces exemples, non ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
C’est aussi l’aboutissement, c’est pas un hasard si on arrive au nouveau récit. On a cette compétence édito mais nos parcours personnels sont des parcours où on a exploré des modes de vie alternatifs. Moi j’ai fait partie d’un collège en gouvernance partagée en permaculture, là récemment j’ai monté une asso où on enseigne la permaculture, je suis formatrice en alimentation vivante, et en fait ce réflexe de distancier la norme, de voir où il y a du plaisir dans des choses qui sont pas habituellement valorisés dans notre société, ça fait partie de nos vies personnelles. Et donc on est un peu habitué à ce que les nouveaux récits peuvent donner dans la réalité. Et c’est sans doute aussi pour ça que c’est plus facile pour nous d’imaginer des nouveaux récits, parce qu’on connaît plein de gens qui les vivent déjà, parce que nous-mêmes on en a expérimenté beaucoup, et qu’on sait qu’il y a du bonheur aussi de l’autre côté. Notre objectif c’est vraiment d’aller vers une société plus juste, plus durable et plus heureuse, et pas juste une société de survie.
Marion Duchatelet – Badsender
J’étais en train de me dire qu’il y a quand même un sacré fil conducteur entre le perso et le pro, et qu’en général, ceux qui transforment véritablement leur entreprise, c’est ceux qui ont vécu quelque chose à l’intérieur d’eux-mêmes. Et donc je ne sais pas si on est capable de transformer toutes les entreprises en fin de compte, tant que les dirigeants n’ont pas vécu quelque chose. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire ?
Besoin d'aide ?
Lire du contenu ne fait pas tout. Le mieux, c’est d’en parler avec nous.
Charlotte Blondel – Déjà demain
Je comprends et je suis assez alignée. Il y a le super bouquin de Frédéric Lallou sur « Reinventing Organizations » qui m’a retourné le cerveau. Il dit exactement ce que tu dis : s’il n’y a pas de volonté à la tête de l’entreprise pour la transformer, il ne se passera pas grand chose. Mais globalement, dans ce qui nous attend, il est probable que toutes les entreprises ne passent pas le cap. Celles qui n’ont pas compris qu’elles doivent se transformer, probablement qu’elles ne passeront pas le cap. En tout cas, nous c’est notre conviction. Et un des arguments qu’on a quand on va voir les boîtes, c’est aussi de leur dire : vous n’avez pas trop le choix en fait. Investir ces nouveaux récits, c’est aussi vous mettre en marche vers la transformation, c’est investir plein de pistes, c’est investir une culture du signal faible, investir une culture du test and learn. Et c’est ça qui va faire que peut-être demain vous serez encore là. Celles qui ne font pas ce chemin-là, qui ne transforment pas leur modèle économique, qui n’ont pas compris que l’économie circulaire, que le régénératif, on n’allait pas pouvoir faire sans en fait.
Marion Duchatelet – Badsender
Pour que je comprenne bien, c’est quoi que vous livrez ? Vous interrogez les directions sur les nouveaux récits et une fois que vous avez brainstormé ensemble, vous livrez quoi ? C’est quoi votre finalité ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Alors, en fait, on intervient à trois niveaux. Donc d’abord, le côté sensibilisation. Donc ça, ça passe par des ateliers divers et variés, qui peuvent être des ateliers très appliqués. On prend vos prods et on essaie de les décrypter ensemble. Moi, je suis formée à une méthode qui s’appelle aussi les 2030 glorieuses, où on se projette dans quelque chose d’extrêmement positif. Quand on a en face de nous quelqu’un qui a l’habitude de dire : « Oui mais, oui mais, oui mais… », je leur réponds « Et si ? Et si ? Et si ? » Essayons de voir un peu comment on peut se mettre en mode un peu créatif. Donc ça c’est la première partie, c’est comment on déverrouille un peu, on sensibilise et on déverrouille. Ensuite il y a la création proprement dit des nouveaux récits. Prenons vos sujets d’aujourd’hui, voyons comment on peut faire un pas de côté, et là on s’appuie sur notre compétence édito, c’est quoi les sujets de demain que vous pouvez investir, c’est quoi les angles sur vos sujets d’aujourd’hui que vous pouvez avoir, comment vous pouvez aussi voir quels sont les sujets à potentiel, nous on s’appuie pas mal aussi sur l’écoute sociale. L’écoute sociale, ça dit beaucoup sur les sujets qui sont en train de monter, sur comment on voit apparaître un mot, puis tout d’un coup, sur un an, deux ans, trois ans, il se répand sur les réseaux ou il se répand dans la presse. Et tout d’un coup, ce sujet de niche, on sait qu’il a du potentiel et donc on peut l’investir en tant que communicant. Donc, voilà, choisir ces nouveaux sujets, choisir les nouveaux récits qui sont adaptés à la marque. Et puis la troisième partie, c’est le déployer. Là, c’est notre compétence édito plus classique où on va dire comment on va faire atterrir ça aujourd’hui dans des newsletters, des prods plus classiques d’articles. Est-ce qu’on va aller sur les réseaux sociaux avec ça ? Et là c’est de la compétence édito plus classique.
Marion Duchatelet – Badsender
Mais aujourd’hui tu es forcément dans un entre-deux. Les modèles d’affaires de la plupart des entreprises n’ont pas encore vraiment changé. Est-ce que tu ne risques pas de te retrouver en face d’entreprises qui veulent faire les deux ? C’est-à-dire, oui, on va faire la bascule. On va inventer de nouveaux services de location, de réparation, etc. Mais en même temps, j’ai toujours besoin de générer des ventes de produits neufs, donc j’ai besoin d’avoir ce double discours.
Charlotte Blondel – Déjà demain
Bien sûr, et je pense qu’on est dans une phase où on va voir ça beaucoup. et que ça va se nettoyer au fur et à mesure. Moi j’accepte en tout cas que d’un côté on ait : « de la promo, de la promo, de la promo » et d’un autre côté : « nouveau récit, nouveau récit, nouveau récit ». Mais à un moment, il va falloir choisir. Je me dis qu’on fait notre part du processus, qu’il faut l’accepter, que c’est pas parfait mais qu’on aura poser le doigt sur ce truc que : les gars, vous allez devoir choisir votre modèle d’affaires un peu sérieusement. Et ça, nous, on n’aura peut-être pas ce pouvoir-là. Il y a peut-être d’autres gens qui vont avoir le pouvoir d’influence supérieur au nôtre. Je crois aussi que parmi les dirigeants de l’entreprise, il y en a quand même une grande partie qui se questionne. J’ai déjà assisté à une réunion client où le discours de l’entreprise c’était : « si on ne change pas notre modèle, dans dix ans, on est mort. C’est la science qui nous le dit. Donc, on va changer notre modèle. » Et là, nous, on avait les poils qui se dressaient sur les bras en disant mais on n’est pas là par hasard, c’est trop cool. Et donc, je pense que les dirigeants sont aussi conscients de l’univers dans lequel on est, la pénurie de ressources, la pénurie d’énergie, les hausses de prix. En fait, on le sait depuis 20 ans. Nous, on vient d’une entreprise qui a été très chouette, dans laquelle on a été très heureuses. Chez Nature et Découvertes (leurs précédentes expériences), on questionnait beaucoup le monde d’après. Et en fait, il y a 20 ans, on parlait déjà de ce qui se passe aujourd’hui. Et donc, ces informations, elles ne sont pas secrètes dans les CODIR. On les a, ces informations. Je pense qu’il y a une espèce de schizophrénie à la tête des entreprises où on se dit « Oui, mais nous, peut-être que si on est bon, on va passer entre les mailles du filet ». Ce qui fait qu’une partie des entreprises font un peu l’autruche. Mais elles savent l’univers dans lequel elles sont.
Marion Duchatelet – Badsender
Elles le savent, mais c’est ce que je disais tout à l’heure, c’est que parfois, elles le savent mais elles ne l’ont pas véritablement intégré. Elle est là la différence.
Charlotte Blondel – Déjà demain
Oui, oui. De notre côté, on se rend compte aussi qu’avoir ce discours-là, ça génère aussi parfois une forme de soulagement en face, de se dire ok, on peut s’en parler, on a le droit de s’en parler. En fait, en face, on a aussi des individus qui sont des citoyens, qui ont des enfants, qui se posent aussi des questions sur l’avenir, et parfois juste dire on sait que le modèle là, il va dans le mur, on est ok avec ça, est-ce qu’on peut se concentrer sur ce qu’on fait maintenant ? Avoir un discours aussi clair, net, franc que ça, ça trouve aussi de l’écho chez les gens qui se disent « ah ok, donc on peut en parler, on peut se le dire aussi au sein de l’entreprise et on peut se remettre dans la position de « ok, on fait quoi ? ». C’est hyper chouette de pouvoir être alignée là-dessus en fait. On n’est pas différent quand on est au boulot de ce qu’on est à la maison et en tant que citoyen. Donc moi je pense que la bascule elle va se faire parce qu’en fait elle doit se faire. Et elle va se faire dans la souffrance pour les entreprises qui n’auront pas pris le train au bon moment, Et puis tous les petits pas qu’on aura pu faire avec les autres, c’est super et peut-être que ça leur aura donné la capacité à se transformer à un moment. Donc voilà, je me dis qu’on fait notre part, là où on est avec les compétences qui sont les nôtres.
Marion Duchatelet – Badsender
Vous êtes combien exactement dans l’agence Déjà demain ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
On va être trois et on ne pense pas être plus gros. Ça c’est très clair pour nous. Quand on allait voir notre banquier qui nous disait : « mais la croissance de l’entreprise c’est quand même le scénario normal. Vous voulez aller où ? » Et nous on répond : « non en fait non la croissance de l’entreprise c’est pas notre souhait, ça ne l’a jamais été ». Si d’autres compétences utiles s’avèrent nécessaires, pourquoi pas s’associer. Mais en fait la logique n’est vraiment pas une logique de croissance.
Marion Duchatelet – Badsender
C’était une de mes questions :-). Est-ce que vous avez la volonté de grandir demain ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
La réponse est non. Clairement non. Et on ne l’a jamais eu. Donc parfois tu te dis, on aimerait bien avoir une compétence supplémentaire et pourquoi pas aller la chercher, soit chez nous, soit chez d’autres. Mais en tout cas, la croissance pour la croissance, c’est un truc qu’on a déjà digéré il y a très longtemps et non.
Marion Duchatelet – Badsender
Tu as déjà des idées de compétence supplémentaire ou pas forcément ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
En fait, il y a des techniques de créativité qui peuvent être super chouettes et peut-être que ça peut être intéressant d’aller en chercher des supplémentaires. L’écoute sociale, on l’aura dans notre offre de fait. Voilà, pour l’instant on en est là. Peut-être que la question du modèle économique un jour nous titillera suffisamment pour que l’on décide d’aller jusque là. Aujourd’hui c’est vraiment trop tôt, mais les pistes de croissance elles sont plus dans : comment est-ce qu’on peut accompagner mieux, pas comment est-ce qu’on peut accompagner plus de gens ou plus vite.
Marion Duchatelet – Badsender
Si je ne dis pas de bêtises, vous êtes structuré en SARL à 50-50, en tout cas aujourd’hui. Est-ce qu’en changeant la raison d’être, vous êtes aussi tenté par revoir la forme juridique ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Oui. L’objectif, ce serait d’aller vers une scop. On est en chemin. On n’est pas des pros de l’administratif, ce n’est pas ce qui nous passionne dans la vie. On avance au rythme qu’est le nôtre, mais voilà, on va aller vers ça, c’est juste cohérent, c’est de la logique en fait, c’est juste parfaitement logique.
Marion Duchatelet – Badsender
Il y a quelque chose qui ne te va absolument pas dans la SARL ou non, c’est juste parce que c’est un statut qui vous parle complètement ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
En fait, dans la logique qui a été la nôtre, quand on s’est associé avec Anne-Laure, la logique d’équité a été posée dès le début et c’est quelque chose qui est fondamental dans notre culture d’entreprise, toute petite à deux, et qu’il sera demain à trois. Et donc la scop est juste le truc logique. On l’avait déjà étudié et là on se dit, maintenant il faut qu’on aille vers ça. On doit tous avoir la même part de voix et ça doit être inscrit quelque part que c’est le choix qu’on a fait.
Marion Duchatelet – Badsender
Vous vous appelez Déjà demain. Vous vous définissez comment ? Comme une agence de rédaction ? Une agence de com ? Une agence marketing ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
On se définit comme une agence dédiée aux nouveaux récits.
Marion Duchatelet – Badsender
D’accord. Nous, c’est une question qu’on se pose beaucoup, la frontière entre rédaction, communication et marketing. Quand on dit qu’on fait du marketing, notamment dans le milieu militant, c’est hyper mal vu.
Charlotte Blondel – Déjà demain
C’est Satan 😉
Marion Duchatelet – Badsender
Quand on fait de la com, ça a l’air déjà un peu plus noble. Tu as l’impression d’être plus côté com que marketing j’imagine ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
Ouais et en même temps en vrai quand on fait de l’emailing on fait du marketing souvent plus que de la com où on n’est pas au niveau des idées donc moi j’avoue que appelons ça comme nos clients appellent ça, nous à partir du moment où on peut mettre un pied dans la porte et transformer ça nous va en fait. Pas vraiment d’avis. Nous on s’est questionnés un peu sur l’agence. On se disait est-ce qu’on est une agence, est-ce qu’on n’est pas une agence. On s’est dit qu’il n’y avait pas vraiment de débat. La chose à laquelle on ressemblait le plus dans le monde d’aujourd’hui ça s’appelle une agence. Donc on va s’appeler agence.
Marion Duchatelet – Badsender
Oui même si agence ça peut faire penser à un gros truc. Peut-être que le terme collectif ou regroupement de personnes…
Charlotte Blondel – Déjà demain
Ça, ça peut changer. Aujourd’hui, on a les mots du monde d’aujourd’hui pour qu’on soit à peu près identifiés. Peut-être que ça changera. Et c’est bien en fait. C’est bien si les mots changent aussi. Ça veut dire que les idées qui sont derrière vont changer.
Marion Duchatelet – Badsender
J’ai l’impression que depuis qu’on parle des récits ou des nouveaux récits, on ne parle plus du tout storytelling. Tu vois une différence ou c’est des mots qui remplacent les autres et ça veut dire la même chose ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
En fait, pour moi, le nouveau récit, c’est un récit qui embarque une ambition de transformation sociétale. Notre plus grande peur, nous, c’est que les nouveaux récits soient vidés de leur sens par des gens qui ne mettent pas d’ambition sociétale derrière. C’est-à-dire qu’à partir du moment où on va faire de la com RSE, on va dire que c’est Nouveau Récit. Et je crois, moi, que c’est beaucoup plus que ça, le Nouveau Récit. Nouveau Récit, c’est une histoire, donc c’est quelque chose d’incarné. C’est pas le rapport RSE… chiffré, etc. Ça c’est très bien, c’est de la com’ responsable, c’est super, il faut que ça existe, mais c’est pas ça. Un nouveau récit c’est quelque chose d’incarné, c’est une histoire, c’est quelque chose dans lequel on peut se projeter. Notre cerveau humain a besoin de se projeter dans des histoires, donc c’est une histoire. C’est quelque chose de positif, un deuxième élément, donc ça doit créer du désir. Nous, notre fonction c’est de réenchanter des choses qui dans le monde d’aujourd’hui ne sont pas forcément désirables. Il faut qu’on arrive à trouver des biais pour le rendre désirable. Et puis, c’est cette ambition de transformation. Il faut qu’on aille vers une société plus juste, plus durable et plus heureuse. Donc l’ambition sociétale, elle est vraiment fondamentale. Le storytelling, le job, c’était créer des belles histoires, parce que notre cerveau aime ça, pour vendre plus de trucs. C’était ça le job. Oui, on utilise le même ressort du cerveau, mais ça me semble beaucoup plus grave et beaucoup plus important, les nouveaux récits, que le storytelling, qui était une ruse de marketeur. Le format est le même, mais la réflexion qui est derrière est complètement différente.
Marion Duchatelet – Badsender
Bon, Charlotte, ça fait déjà une trentaine de minutes qu’on parle. J’ai une dernière question pour toi. Est-ce que tu saurais me donner deux, trois organisations qui t’inspirent justement dans leurs démarches de com ou de nouveaux récits ?
Charlotte Blondel – Déjà demain
J’aime bien ce que fait Décathlon. Je trouve que dans leur représentation d’un secteur comme le sport. En fait, quand tu t’intéresses aux imaginaires qu’il y a derrière le sport, on est toujours dans ce même imaginaire de l’athlète. T’as l’impression que quand tu commences le sport, il faut que tu t’entraînes et que tu te dépasses et que tu deviennes un surhomme comme les athlètes des Jeux Olympiques. Et c’est ça, l’espèce de mythologie du sport systématique. Or, le sport, on le fait pour plein d’autres raisons. Et je trouve que c’est les seuls à appuyer sur d’autres insights. Et par ailleurs, en termes d’inclusivité, de représentation des corps, de représentation des sportifs, ils font des choses qu’on ne voit pas ailleurs. J’aime bien comment ils sont en train de transformer leur modèle économique sur la location. Ils ont pas mal avancé, j’ai vu qu’ils lançaient la location des vêtements de ski sur l’hiver. Bon voilà, je trouve qu’il y a une espèce d’énergie de transformation, alors je voudrais que ça aille plus vite, mais ça, ça me semble assez beau. Après, dans les nouveaux récits, il y a aussi des choses qui sont super du côté de la fiction et qui sont assez inspirantes. Je pense au film « Règne animal », où je me suis dit, mais ça c’est tellement le pouvoir de l’image et à quel point quand on raconte des histoires, ça s’ancre dans notre cerveau tellement mieux que tous les discours normatifs qu’on peut avoir sur le rapport qu’on a à notre propre animalité, sur le rapport qu’on a à l’étranger, à ce qui nous est étranger, à ce qui nous fait peur. J’ai trouvé que c’était traité d’une façon extrêmement sensible, qui fait appel à nos émotions, à nos sensations. Voilà. Et ça aussi, dans les récits qui sont en train de changer, notre rapport au vivant non humain, Donc à l’animal, au végétal, au minéral, c’est quelque chose qu’on va voir complètement se transformer dans les dix années qui viennent et on en voit déjà les prémices. Et ça aussi, c’est un truc à investir quand tu fais de la cosmétique et que tu utilises des plantes ou des actifs botaniques, quand tu t’intéresses à l’alimentaire, quand tu es une boîte d’alimentaire, qu’est-ce qu’il y a à réenchanter sur le rapport au végétal ? Je trouve ça hyper inspirant, comme récit qui te fait bouger dans ta tête, qui te fait déconstruire des choses.
Marion Duchatelet – Badsender
C’est vrai que la fiction, là, pour atteindre et faire hisser les poils, c’est plutôt pas mal. Je te remercie beaucoup Charlotte pour ce temps d’échange.
Charlotte Blondel – Déjà demain
Avec plaisir. C’était un plaisir.