Le deuxième épisode de notre podcast « Non mais concrètement, comment on fait la transition ? » explore le secteur de l’électroménager avec Michaël Rogué, ex-directeur de la transformation écologique de Boulanger et co-fondateur de Chapter-2, un collectif d’entrepreneurs engagés qui accompagne les dirigeants et actionnaires dans la transformation durable de leur entreprise.
Comment le secteur de l’électroménager doit-il se transformer face aux enjeux écologiques ?

Michaël Rogué a passé trois ans en tant que directeur de la transition écologique chez Boulanger. Dans cet épisode, il partage sa vision du futur de ce secteur et explique comment les dirigeants doivent prendre en main dès aujourd’hui la transformation.
Deux forces majeures vont bouleverser le marché :
- une réglementation plus stricte exigeant des produits traçables et réparables,
- et la raréfaction des matières premières qui fera augmenter le prix des produits neufs.
Ces changements vont profondément transformer l’expérience d’achat et donc la proposition de valeur : les magasins de demain seront plus petits, axés sur la réparation et la seconde vie des produits, plutôt que sur l’exposition de produits neufs.
Un épisode essentiel pour comprendre comment les acteurs traditionnels de l’électroménager doivent se réinventer.
« Je voudrais insister sur l’importance de danser sur deux pieds. C’est-à-dire avoir un pied dans la réalité d’aujourd’hui où ces sujets de RSE sont encore des « nice-to-have » et où la vente de produits neufs reste le cœur de l’activité. Et un deuxième pied dans l’avenir où il faut préparer dès maintenant les services de location, de réparation et d’achat-revente de produits d’occasion, sans se faire trop d’illusions sur les revenus générés. Ces nouveaux modèles ne sont pas encore des modèles mainstream. Il faut poursuivre son modèle historique pour avoir les capacités d’investissement nécessaires à la transformation et à la création des services et métiers de demain. » Michael Rogué
Nous vous souhaitons une bonne écoute !
Cet enregistrement est aussi disponible sur toutes les plateformes de podcast :
Retranscription écrite de l’épisode 2 du podcast “Non mais concrètement” avec Michael Rogué, ex-Leader Planet de Boulanger et co-fondateur de Chapter-2
Jonathan Loriaux
Bonjour Michaël. Je suis ravi de te recevoir dans « Non mais concrètement ». Avec toi, on va essayer de rendre un peu plus concret certains aspects de la transition écologique et sociale dans le monde de l’entreprise. Est ce que tu peux commencer par te présenter en quelques mots ?
Michaël Rogué
Avec plaisir Jonathan. Donc je m’appelle Michaël, j’ai 41 ans, je suis ingénieur de formation sur les enjeux des nouvelles technologies. Après avoir passé une quinzaine d’années dans le domaine du digital, dans des sociétés de services informatiques et l’édition de logiciels, j’ai décidé de consacrer ma carrière professionnelle sur les enjeux de transition écologique que j’ai opéré chez Boulanger comme directeur de la transition écologique avant de monter mon activité de conseil en transition écologique qui s’appelle Chapter-2.
Jonathan Loriaux
Parfait ! Si ça te va, on va essayer de nous concentrer justement sur ce secteur de l’électroménager que tu as rencontré chez Boulanger. Comment tu vois ce secteur en 2035 et puis éventuellement en 2050 ? C’est quoi les les grands éléments qui auront été transformés si on veut faire réellement la transition écologique ?
Michaël Rogué
Il y a deux choses qui sont en train de percuter ce domaine de l’électrodomestique / électroménager et qui vont s’accentuer dans les prochaines années. Un, c’est le contexte réglementaire qui impose que les produits qui sont mis sur le marché soient de plus en plus tracés, de plus en plus réparables, avec une réglementation forte, comme je le disais, sur la traçabilité, où il va falloir absolument indiquer d’où viennent les produits, avec quelles matières sont-Ils faits, quelle part de matériaux recyclés sont inclus dans les matières des produits, etc. Et aussi de quelle manière ils sont réparables par le consommateur final avec une attente sur la disponibilité des pièces détachées. Donc autant avant, personne ne se préoccupait de ça. Demain, il va falloir absolument porter son attention là-dessus et fournir des produits sur le marché qui sont réparables et durables.
Michaël Rogué
Et la deuxième chose, c’est le sujet des matières premières. Il faut savoir que ces produits électroniques et électroménagers demandent énormément de ressources métalliques : du cuivre, du cobalt, du lithium, des terres rares. Pour information, dans un smartphone, il y a entre 40 et 60 métaux différents. Donc c’est énorme. Et le sujet, c’est que ce sont des matières qui sont de plus en plus demandées par nos modes de vie et en particulier avec le sujet de l’électrification. Et on a aujourd’hui une production de ces matières premières qui est en décroissance avec assez peu de nouveaux gisements. Si on prend par exemple l’exemple du cuivre qui est le plus critique, il y a des études qui sont parues et d’autres qui sont en train d’arriver, montrant qu’effectivement on risque d’avoir une explosion de la demande dans les prochaines années par rapport à une plus faible production.
Jonathan Loriaux
Ces deux éléments, la réglementation et les matières premières, c’est le point de vue de l’entreprise et du monde de l’entreprise. Mais au final, pour le consommateur, quelles sont les habitudes qu’on va transformer avec ces nouvelles données ?
Michaël Rogué
Mécaniquement, on va se retrouver avec des plus grandes difficultés pour fabriquer ces produits et on se retrouvera avec des produits qui vont devenir plus chers. Parce que forcément, une ressource qui se raréfie, ce sera plus difficile pour un commerçant de s’approvisionner en produits pour achalander son magasin et donc moins de produits neufs disponibles en magasin. Donc ça veut dire qu’on va se retrouver avec des magasins qui auront moins de produits neufs à vendre et vont devoir aussi accélérer les services permettant de réparer et allonger la durée de vie des produits qui sont déjà sur le marché et, aussi, s’approvisionner en produits de seconde vie pour combler le manque de produits neufs qui seront disponibles.
Jonathan Loriaux
Donc du coup, ça veut dire aussi moins de diversité en produits neufs dans les magasins.
Michaël Rogué
Oui, certainement.
Jonathan Loriaux
Imagine qu’on rentre dans un de ces magasins dans dix ou vingt ans. Ça ressemble à quoi ?
Michaël Rogué
L’avenir nous le dira. Mais moi, j’ai le sentiment que ce que vont rechercher les consommateurs dans un monde où les ressources se raréfient, où il y a moins de produits neufs à acheter, c’est en quoi ce magasin m’aide à allonger la durée de vie de mes produits que j’ai déjà, voire me rachète mes anciens produits, qui vont avoir une valeur parce que ce sera plus dur de fabriquer des produits neufs. Et donc pour moi, le magasin de demain j’y rentre et je ne tombe pas directement sur des rayons avec des nouveaux produits à vendre, mais je tombe d’abord sur un atelier qui va m’aider à réparer mes produits, me proposer de les diagnostiquer, d’acheter des pièces de rechange, on aurait des produits à louer plutôt qu’acheter. Et oui, bien sûr, il restera toute une partie d’achalandage de produits, mais ce ne sera plus uniquement des produits neufs. Il y aura aussi des produits d’occasion. Donc j’imagine un bon mix entre un atelier et un commerce qui sera moins traditionnel mais qui proposera des produits de différentes natures, certainement moins dee produits neufs et plus de produits d’occasion.
Jonathan Loriaux
Ok, il y a un truc qui m’intéresse là-dedans. C’est qu’aujourd’hui on a ce modèle de très grands magasins d’électroménager avec plein de rayons différents et qui ressemble en gros à un supermarché de l’électronique à peu de choses près. Est-ce qu’au final, demain on ne va pas se retrouver avec une spécialisation de personnes qui sont là plutôt pour faire de la réparation, des ateliers dédiés et d’autres personnes qui sont là pour la seconde main ? Est-ce que ce modèle où on a des supermarchés de l’électronique, ça a encore beaucoup d’avenir ?
Michaël Rogué
Pour moi, ça n’en a pas. Ça en a encore aujourd’hui. Il ne faut pas non plus aller trop vite en besogne, parce que ce qu’on projette, c’est potentiellement à cinq ou dix ans. Même si c’est quand même demain à l’échelle de l’humanité. C’est d’ailleurs ce qu’on commence à voir dans le secteur de l’alimentaire. Ces très très très grandes surfaces n’ont plus de sens. Réduire les surfaces dans le domaine de l’électronique, ça va forcément aussi arriver parce qu’on n’aura plus besoin de surfaces aussi grandes pour un atelier de réparation, on n’aura plus besoin d’étaler tous ces produits neufs de plein de marques différentes avec plein de gammes différentes dans un monde où les ressources se raréfient.
Jonathan Loriaux
C’est quoi les étincelles qu’il faut dans les cerveaux des dirigeants des enseignes traditionnelles de ce secteur pour que les choses bougent vraiment ? Parce que là, la réglementation change, c’est une pression sur eux. Le fait qu’il y ait moins de matières premières, c’est une autre pression. Il y a éventuellement la pression du consommateur. Mais j’ai toujours l’impression que il y a des niveaux très très différents de maturité et que la réalité des uns n’est pas forcément celle des autres. C’est quoi les prémices d’une vraie réflexion vers une vraie transition dans ce secteur ? À quel point il faut que les dirigeants soient secoués pour qu’ils se décident vraiment à changer leur modèle ?
Michaël Rogué
L’étincelle que je vois, c’est de regarder ces risques en face avec l’honnêteté, de les regarder et de s’y intéresser. Il y a des signaux faibles aujourd’hui qui nous montrent que les ressources se raréfient, mais ça n’est pas encore tout à fait concret. Par contre, si effectivement on regarde à dix ou quinze ans, factuellement tout nous montre qu’on va aller vers moins de ressources et vers des contraintes réglementaires qui vont s’imposer à nous. Et donc il faut regarder les choses en face. Et puis quelque part, acter que l’entreprise va changer, de l’expliquer aux collaborateurs, et pourquoi pas de l’expliquer aux clients. Dire qu’effectivement, à terme, l’entreprise va changer et que demain les magasins seront potentiellement plus petits. Ils ne seront plus uniquement des marques ou des que des surfaces où on vend des choses, mais aussi un endroit où il y a du service et des échanges.
Michaël Rogué
Mais ce que je dis toujours aux dirigeants, c’est de réussir à avoir ses deux jambes. C’est à dire avoir un pas dans la réalité d’aujourd’hui où ces sujets de RSE sont encore des nice-to-have et où la vente de produits neufs reste le cœur de l’activité. Et ce deuxième pas dans l’avenir où on sait qu’il y aura besoin de construire des nouveaux modèles, ces nouveaux services attendus, ces mécanismes de rachat-revente de produits d’occasion et commencer à les préparer dès maintenant sans se faire trop d’illusions. Comme tu dis, le consommateur aujourd’hui, il n’attend pas vraiment qu’un retailer rachète es produits ou l’aide dans la réparation.
Jonathan Loriaux
Il attend le tout dernier iPhone.
Michaël Rogué
Exactement, c’est ça. Cependant, en tant qu’entreprise, il faut se préparer dès maintenant à ces nouveaux modèles qui vont être ultra transformationnels. L’entreprise n’a jamais vécu ça jusqu’ici. La transformation digitale était une tortue quelque part du modèle passé des retailers classiques. Ces nouveaux modèles vont être ultra transformationnels. C’est maintenant que ça se prépare.
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Jonathan Loriaux
Quand tu dis « c’est maintenant que ça se prépare », ça veut dire quoi concrètement ? Sachant que du côté des salariés et des consommateurs, les résistances risquent d’être énormes. Au final, la première entreprise qui se bouge réellement, c’est celle qui va se casser la gueule et que celles qui vont suivre vont peut être mieux s’en sortir grâce aux retours d’expériences des autres.
Michaël Rogué
Il faut réussir à embarquer les collaborateurs et être sûr que tout le monde s’inscrit dans cette vision là. Il faut écrire un plan de transformation et qui ne se fera pas du jour au lendemain parce que c’est ultra transformationnel. Ça va changer les métiers de l’entreprise, ça va changer la vision de la performance, ça va changer la gestion de la supply chain. Ce qui est bien, c’est qu’on a une dizaine d’années devant nous. Tout ça en maintenant le business d’aujourd’hui, parce que c’est le business d’aujourd’hui qui va permettre de financer la suite.
Jonathan Loriaux
Avec ton oeil d’observateur, qui est sorti de ce secteur là et qui le regarde depuis l’extérieur, c’est quoi les indices qu’on peut détecter, qui peuvent nous montrer qu’une entreprise est concrètement en train de bosser sur le sujet, même si le discours n’est peut être pas encore élaboré et bien marketé pour que ça se voit.
Michaël Rogué
Plusieurs choses. De un, c’est l’arrivée de nouveaux acteurs sur ce segment là qui n’existait pas auparavant ou qui vivotait. Je pense par exemple à des carter-cash ou easycash qui existaient depuis des années, mais c’était vécu comme le marché du électrodomestique de celui qui n’a pas d’argent. Alors qu’aujourd’hui ça devient vraiment des vraies places de marché et d’échange d’ailleurs avec des enseignes. Il suffit de regarder un peu le positionnement marketing des marques Easy Cash qui est en pleine nouvelle accélération de son activité, ou de regarder des acteurs comme Back Market qui est devenu une licorne en très peu de temps, ou des Murphy qui ont accéléré sur les enjeux de de faciliter l’accès à la réparation des produits. Bref, tout un tas de nouveaux entrants qui arrivent qui apparaissent comme des leaders sur le marché et qui créent une activité économique là où il y en avait pas il y a quelques temps.
Jonathan Loriaux
Au final, c’est des acteurs en périphérie de ce marché là qui font de la pression sur les acteurs traditionnels.
Michaël Rogué
Et les acteurs traditionnels se mettent en route. C’est long parce que c’est une transformation pour eux. Pendant 70 ans, ils ont été retailers traditionnels. Ils ont « uniquement »acheter des produits pour les mettre en rayon. Mais voilà, on le voit des Fnac, Darty, Boulanger qui accélèrent sur les enjeux de la réparation, en proposant maintenant des offres de réparation en illimité, de la location en magasin, qui se mettent à racheter des produits d’occasion et qui, de cette manière, diversifient leurs activités et commencent à faire des premiers pas vers la transformation de leur métier.
Jonathan Loriaux
Tu ressens que dans leur discours auprès des consommateurs et du grand public, ça commence à se marquer ou tu trouves que c’est un peu trop timide ou que c’est normal que ce soit timide ?
Michaël Rogué
C’est encore trop timide à mon sens pour moi, Michaël, la personne engagée qui a envie que ses sujets aillent plus vite. Mais si je me mets à leur place comme je l’étais quand j’étais chez Boulanger, c’est toujours difficile de bien doser. Entre, continuer de pousser l’ancien modèle, parce qu’il doit me permettre de me créer de la richesse pour financer la transformation, et pousser à la bonne vitesse la transformation et les enjeux de demain. C’est tout un jeu d’équilibriste qui n’est pas évident à avoir. Ils ont plus à perdre que ces nouveaux entrants dont je parlais, qui sont nés de cette nouvelle activité et qui de toute façon vont pousser, veulent pousser et ont tout à gagner à pousser le nouveau modèle.
Jonathan Loriaux
Au final, leur discours marketing et leur communication est beaucoup plus simple. Ils ont un créneau précis et ils veulent le pousser jusqu’au bout. Alors que les acteurs traditionnels doivent éduquer leurs consommateurs sur des nouveaux sujets, avec des nouveaux récits qui ne sont pas simples à prendre en main, ils risquent d’avoir du mal à se repositionner.
Michaël Rogué
L’avenir nous le dira. Est-ce qu’on finira comme Apple qui a réussi à supplanter sa présence en sortant l’iPhone, le téléphone tactile, alors que tous les acteurs traditionnels de la téléphonie comme BlackBerry, Nokia n’y croyaient pas et n’avaient donc pas pris de place sur le marché et ils se sont faits supplanter. Ou au contraire, est-ce que ces grands leaders qui ont une place incontestable de l’électroménager aujourd’hui, vont réussir à prendre une présence forte sur ces nouveaux modèles. Ils ont quand même un atout fort à leur actif : leur présence sur le terrain et leur capacité à apporter cette réponse de proximité à travers leur réseau de magasins. Ces nouveaux acteurs eux n’ont pas et n’auront jamais cet avantage.
Jonathan Loriaux
Il y a un autre sujet que je trouve intéressant pour reboucler avec les nouveaux récits. C’est que aujourd’hui, dans ces magasins, on trouve des achats d’envies, notamment tout ce qui est téléphonie, télévision, etc. On peut vraiment se dire j’ai envie d’avoir la dernière télé 4K à la mode. Il y en d’autres achats qui font un peu moins envie. Quand on s’achète un aspirateur, c’est pas forcément avec autant d’émotion. Quoique peut être dans certains cas. Ma question c’est : comment on rend sexy l’idée d’augmenter la durée de vie des produits, la réparation là où aujourd’hui on n’a pas forcément envie de se prendre la tête ? Sur les produits émotionnels, on a envie d’avoir le dernier modèle parce que ça fait plaisir. Alors que faire réparer son aspirateur, c’est pas forcément le truc sur lequel on a envie d’investir du temps. On ne se dit pas je serai un super winner si je garde mon aspirateur 25 ans.
Michaël Rogué
C’est une bonne question. Moi pour le coup j’ai cette satisfaction. Je répare tous mes produits et j’ai le regard de mes enfants qui disent « Waouh, papa, t’as réussi à réparer l’aspirateur ». Le fait de ne pas me déplacer en magasin et réussir à réparer chez moi mon aspirateur me rend fier. Après, je pense qu’il y a aussi un sujet au delà de la fierté qui va arriver. Quand on va commencer à toucher à l’épuisement des ressources et le fait que les produits vont devenir plus chers, savoir réparer son produit plutôt que de dépenser X centaines d’euros pour en racheter un nouveau, ça deviendra quelque chose de normal et d’acceptable.
Michaël Rogué
Je compare toujours à la voiture. Quand tu as un problème avec ta voiture, tu ne l’amènes pas à la casse pour en acheter une autre. Et on ne fait pas ça pour des raisons écologiques quelque part, on fait ça pour des raisons économiques, car elles coûtent cher. Le sujet aujourd’hui, c’est qu’effectivement réparer coûte parfois quasi aussi cher, voire plus cher que d’acheter un produit neuf. Mais c’est quelque chose qui n’aurait jamais dû arriver et qui bientôt il n’aura plus lieu. Encore une fois, quand je dis bientôt on est peut-être à dix ans mais à l’échelle de l’Humanité c’est bientôt.
Jonathan Loriaux
En fait, on a eu une période dorée pour tout le monde, sauf pour la planète. Tout à l’heure, tu as parlé de Murphy. Ils ont une démarche intéressante d’accompagnement sur la réparation. Ils ont une vraie gradation dans la manière dont ils accompagnent leur audience, en leur disant : d’abord essayez de réparer vous-même, puis on peut vous accompagner à distance pour vous guider. Et ensuite, on va vous envoyer un technicien à la maison pour vous aider à faire la réparation si elle est trop complexe. Puis, on va vous proposer de récupérer votre ancien appareil et de le remplacer par un neuf ou un autre d’occasion. Je ne sais pas si ils ont déjà eu des offres de rachat, mais ils il risque d’être assez sollicité dans les prochaines années. Et c’est vraiment une démarche qui permet d’offrir quelque chose gratuitement mais aussi toute la gamme de services très progressive qui va derrière. Je ne sais pas si tu as déjà fait appel à eux.
Michaël Rogué
Je les connais très très bien. Je n’ai pas fait appel à eux parce que je répare moi-même. Mais c’est effectivement une très belle entreprise. Ce qu’ils ont aussi réussi à faire, recréer de la compétence de réparation, ce n’était pas simple. Le métier de réparateur d’électroménager électrodomestique, c’est un métier qui était très en vogue et très plébiscité il y a encore quelques années. Enfin, quand je dis il y a quelques années, dans les années 50-60 ou 70, mais avec l’accélération des produits moins chers fabriqués en Asie, au moment où c’est devenu plus cher de réparer que de que de racheter un produit neuf, ce métier a disparu considérablement. C’est aujourd’hui une ressource très très rare, avec même des filières et des formations qui se sont raréfiés. Et aujourd’hui, trouver des bons réparateurs électroménagers sur le marché est extrêmement compliqué.
Michaël Rogué
Donc ils ont fini par créer leur école de formation. Et tous les ans, ils forment plusieurs centaines de personnes qui viennent de différents horizons au métier de réparateur de l’électro domestique.
Jonathan Loriaux
Ce qui veut dire aussi que dans les dix ans qui viennent, il faut une phase de reconversion. Parce que ceux qui sont aujourd’hui principalement vus comme des vendeurs et ou des conseillers, vont devoir se recycler et être capables d’avoir du répondant technique à minima quand un client vient leur dire bonjour et éventuellement mettre la main à la pâte. Comment on fait la reconversion concrètement ? Parce qu’aujourd’hui un vendeur touche sa com chaque fois qu’il vend un produit neuf. Demain, on va leur dire, il ne faut plus vendre, il faut aussi réparer, c’est pas ton métier, mais il va falloir y aller.
Michaël Rogué
C’est un point clé ce que tu dis. Parce qu’effectivement, si on se projette sur cette vision cible que j’ai donné du magasin, d’ici une dizaine d’années, on aura besoin de moins de compétences commerciales pour vendre les produits et plus de compétences techniques pour accompagner, réparer, etc. On pourrait se dire que c’est pas les mêmes profils et en même temps on pourrait se dire que c’est un sujet de compétences et d’évolution naturelle des compétences. On pourrait parler de plein d’autres secteurs. Mais moi j’ai la conviction que ces métiers manuels vont de toute façon redevenir nécessaire dans les prochaines années, parce que c’est ce que va attendre le consommateur. Et en plus de ça, c’est des métiers qui ne seront pas remplaçables par l’intelligence artificielle. Et donc oui, il va y avoir nécessité d’accompagner chaque personne à se « re-techniciser ». Ça, ne se dit pas, mais j’ai envie de le dire.
Michaël Rogué
Voilà, j’ai inventé un nouveau terme. Repartir sur des métiers manuels et réapprendre à faire avec ses mains. Certains vendeurs en magasin vont peut être tre réticent. Mais moi je dirais que c’est une évolution naturelle de leurs métiers et quelque part, qui mieux que le vendeur en magasin, qui connait super bien les produits, serait placé pour pouvoir réparer les produits ? Bien évidemment, avec un accompagnement pour lui apprendre la technicité de réparation.
Jonathan Loriaux
Ce qui veut dire que les nouveaux récits sur ces nouveaux modèles, ils doivent à la fois être appliqués et proposés au consommateur client. D’ailleurs, le terme consommateur, il va falloir qu’on revoit le terme aussi. Mais il faut séduire en plus les collaborateurs pour leur dire : votre boulot va changer, mais c’est bien et le valoriser. Parce que la valeur pour l’enseigne, elle sera encore supérieure. Finalement, sur une réparation, on peut créer plus de valeur que sur un produit neuf : un produit qui passe de main en main sur lequel on se prend une petite marge.
Jonathan Loriaux
Peut-être que ça existera demain, qui sait ?
Michaël Rogué
Complètement. Et plus encore pour ces enseignes qui ont créé ce réseau physique et qui ont une présence physique sur le territoire. Ce seront des services que les grands leaders d’aujourd’hui de ce secteur, comme Amazon, ne seront jamais capables de le faire. Si en tant que commerçant physique, j’arrive à apporter suffisamment rapidement cette bonne valeur ajoutée, cette bonne technicité nécessaire et ce bon apport de service nécessaire, je pense qu’ils peuvent reprendre la place de leader qu’ils avaient il y a quelques années, avant l’arrivée de ces géants du web.
Jonathan Loriaux
Il y a un truc que tu as dit à plusieurs reprises dans cette interview et qui me fait penser au secteur de la voiture. Aujourd’hui, on se rend compte que les personnes qui sont capables d’acheter une voiture neuve, ce sont les couches de la population qui ont le plus de moyens, et que tous les autres, ils achètent déjà de l’occasion depuis très très longtemps. Ce qui fait que d’une part, les citoyens plutôt que les consommateurs ont l’impression pour certains qui ne seront jamais capables de se payer une voiture neuve et d’autre part que les voitures neuves, elles sont taillées sur mesure pour les personnes qui ont les plus gros moyens sur le marché. Est ce que le fait que des produits d’électroménager deviennent plus chers ne va pas être confronté au même problème qui est que les personnes qui ont les plus gros salaires sont ceux qui achètent les produits neufs et qu’il reste que les produits d’occasion pour le reste de la population. C’est un sujet qui est conscient dans ce secteur ou qui est en dessous du tapis ?
Michaël Rogué
Moi je fais exactement la même analogie. Non, aujourd’hui, c’est pas un enjeu qui est partagé par le secteur. On parlait de la télévision 4K et gros écran tout à l’heure, aujourd’hui, ce ne sont pas des produits qui sont très très chers. D’autant plus qu’avec les crédits à la consommation, tout un chacun peut se le payer. Mais je pense que ce sont des choses qui pourront arriver dans les prochaines années. Effectivement, l’analogie est bonne je trouve.
Jonathan Loriaux
Je pensais surtout à la machine à laver qui est quand même un outil indispensable pour la plupart des foyers, même si elle peut être mutualisée dans des immeubles et ce genre de choses. Et on va sans doute arriver à ce à ce type de modèle aussi. Mais aujourd’hui, on arrive à avoir des machines à laver qui ont des durées de vie extrêmement longues quand elles sont bien conçues, relativement simples, etc. Mais avant qu’elles reviennent dans le circuit de l’occasion, au final, la plupart des gens ne consommeront que les machines à laver premier prix d’il y a dix ans et qui sont rafistolées en permanence. Donc malheureusement, la qualité ne sera pas encore tout de suite pour tout le monde. On le voit dans le secteur du vélo aussi, il y a deux tendances. La tendance à l’ultra simplicité pour que ce soit ultra réparable et d’autres marques qui essayent de transformer des vélos en voitures avec des trucs ultra complexes et avec de l’électronique dans tous les coins. On verra comment ça avance.
Jonathan Loriaux
Je ne sais pas si tu veux rajouter quelques mots. Peut être qu’il y a des choses qu’on n’a pas évoqué dans cet entretien qui te semblent importantes à mettre sur le tapis ?
Michaël Rogué
J’aimerais bien insister sur sur ce que j’ai dit au début ou au milieu, je ne sais plus. C’est l’importance de danser sur deux pieds. Malheureusement, beaucoup d’acteurs, et pas uniquement dans le domaine de l’électronique et de l’électroménager, on fonçait peut être un peu trop tête baissée il y a quelques années sur sur ces sujets de nouveaux modèles. Alors que même si une tranche de la population est très appétente à ça, la majorité ne l’est pas plus que ça. D’autant plus qu’on vit encore aujourd’hui dans un monde où c’est moins cher dans la plupart des cas, de racheter un produit neuf plutôt que de réparer et de faire prolonger le sien.
Michaël Rogué
Et donc, certains acteurs allant trop vite par rapport à ça, on fait le bilan trois ans plus tard en disant : en fait c’est nul, ça ne marche pas, il n’y a pas de clients, je n’arrive pas à avoir la même marge que les produits neufs, c’est extrêmement compliqué sur ma chaîne logistique, ça pète mon magasin en deux parce que je ne sais même plus comment on l’a achalandé, etc. Et du coup, ils font marche arrière aujourd’hui sur ces sujets. Et ces constats, moi je les partage parce que c’est pas des modèles très plébiscités par les citoyens. J’utilise plutôt le terme de citoyen que consommateurs. Et en même temps, c’est évident que ce sont les modèles de demain. D’où la nécessité vraiment de garder un pied dans la réalité. Ces nouveaux modèles ne sont pas les modèles mainstream aujourd’hui. Donc ça ne sert à rien de surinvestir sur ces sujets, de les sur mettre en avant en magasin. Il faut adresser tout de même la partie de la population qui est appétente à ces sujets là et qui y croient aujourd’hui, plutôt par conviction par engagement, que par nécessité. Mais continuer de travailler et de poursuivre son modèle historique. Parce que, encore une fois, aller trop vite ce serait se brûler les ailes et ça ne permettrait pas d’avoir les capacités d’investissement qui sont nécessaires pour vraiment transformer et créer ces métiers et ces nouveaux métiers de demain.
Michaël Rogué
Donc c’est préparer l’avenir tout en restant bien ancré dans la réalité.
Jonathan Loriaux
Donc la transformation progressive mais certaine plutôt que la rupture trop rapide qui pourrait faire qu’on se crame les ailes. Eh ben écoute, merci beaucoup pour cet échange. Je te souhaite bon amusement dans l’accompagnement de tous ces nouveaux modèles et à bientôt.
Michaël Rogué
Merci Jonathan, à très bientôt.
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