Notre podcast “Sobriété & Marketing” devient “Non mais concrètement”. Notre premier épisode : comment transiter dans le secteur de la chaussure avec Clément Fabries de Risole.

Notre podcast « Sobriety & Marketing...possible? » devient « Non mais concrètement, comment on fait la transition ?« . Pourquoi ? Parce qu’avec Jonathan Loriaux, au fil des 32 épisodes enregistrés, nous avons réalisé qu’il n’y a pas de marketing sobre sans un modèle d’affaires sobre. Nous voulons comprendre concrètement comment une entreprise doit opérer sa transition et quelles sont les étapes précises pour y parvenir. À chaque épisode, nous plongerons dans un secteur d’activité spécifique. Le premier épisode explore le secteur de la chaussure avec Clément Fabries de Risole.

Pourquoi rebaptiser ce podcast : « Non mais concrètement » ?

C’est fini les “il faudrait que”.

Nous sommes de plus en plus nombreux à être conscients du monde que l’on devrait atteindre pour faire réussir la transition écologique et sociale.
Avec toutes ces personnes qui ont de grands discours globaux et théoriques, nous avons souvent dû mal à comprendre comment les choses devraient s’enchaîner. Quelles sont les différentes étapes pour que les boites normales et les gens normaux fassent avancer le schmilblick ?

Nous voulons du concret !

Dans Non mais concrètement, nous interviewons des acteurs de cette transition qui ont déjà des solutions concrètes et qui les appliquent au quotidien. Celles et ceux qui sont considérés avec scepticisme, qui osent aller à contre courant et remettent en question les modèles traditionnels. Nous les poussons à détailler précisément chaque étape de leur démarche, du tout premier pas jusqu’aux suivants.

Notre podcast analyse, secteur après secteur, l’avenir des organisations économiques dans un monde en transition.

Notre premier épisode explore le secteur de la chaussure avec Clément Fabries de Risole

Clément Fabries est un expert aux multiples facettes. À la fois cordonnier, designer, ingénieur produit et consultant, il s’est spécialisé dans la durabilité de la chaussure.

Il accompagne les marques, les industries et toute entité du secteur pour développer des pratiques durables et répondre aux exigences environnementales, réglementaires et sociétales d’aujourd’hui et de demain.

Son expertise est ancrée dans le concret : sa boutique de cordonnerie Risole à Toulouse lui permet d’observer directement comment les clients utilisent leurs chaussures. Cette expérience terrain, combinée à sa maîtrise des matériaux et des techniques de conception, lui permet d’optimiser la durée de vie des chaussures. Sa conviction ? La réparation représente une proposition de valeur essentielle pour les vendeurs de chaussures. Reste à comprendre comment une marque traditionnelle peut intégrer la réparation dans son modèle économique. Par où commencer ? Quelles étapes suivre ?

Cet épisode s’adresse non seulement aux acteurs de la chaussure, mais aussi à tous ceux qui évoluent dans le secteur de la mode ou qui travaillent avec des objets réparables.

Nous vous souhaitons une bonne écoute !

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Retranscription écrite de l’épisode 1 du podcast “Non mais concrètement” avec Clément Fabries de Risole

Jonathan Loriaux: Salut Clément ! Bonjour ! J’espère que tu vas bien. Merci d’être là avec nous aujourd’hui dans ce nouveau podcast que Badsender lance autour de la transition écologique et sociale. Notre objectif, c’est de voir avec les organisations économiques comment, dans un monde qui doit avancer vers la transition, elles peuvent faire très très concrètement. Et du coup ça me semblait particulièrement pertinent de te recevoir aujourd’hui. Est ce que tu peux te présenter en quelques secondes ?

Clément Fabries : Merci Jonathan pour cette introduction. Je m’appelle Clément Fabries, j’ai 37 ans et j’habite entre Toulouse et Castelnaudary. Un petit peu entre les deux où j’y suis cordonnier. Je mène une entreprise qui s’appelle Risole. Tout autour de la durabilité de la chaussure et donc on fait de la réparation de chaussures. Mais aussi on est en train de créer une offre de chaussures durables, des sneakers qu’on fera nous même et on accompagne des marques pour aller développer de la réparation et surtout des modèles rentables pour les accompagner vers cette transition.

Jonathan Loriaux: Alors juste quand même une toute petite précision sur ton profil tu es à la base ingénieur et designer si j’ai bien compris.

Clément Fabries : Moi mon profil et ma formation et effectivement autour de l’ingénierie et du design industriel. Donc c’est comment on fabrique des choses avec toutes les contraintes industrielles. Et aussi faire des choses qui sont utiles, qui vont servir à des utilisateurs et qui vont leur plaire. Ça, c’est tout l’aspect design finalement. Et donc il y a cinq ans, j’ai fait une transition, je suis allé un peu plus sur le terrain, mettre les mains dedans, mettre les mains dans le produit, dans son usage et dans ses usures. Et puis aussi être en lien direct avec les personnes qui les utilisent. En devenant cordonnier. Et donc ça fait quatre ou cinq ans, enfin cinq ans désormais que j’ai ma cordonnerie et que maintenant je commence à développer et à revenir à mes premiers amours, on va dire, avec mon travail d’ingénieur et de designer. Donc maintenant, j’ai un peu un statut mixte hybride, que j’appelle cordonnier et ingénieur ou ingénieur cordonnier qui finalement dénote un petit peu mais qui prend sa cohérence aujourd’hui.

Jonathan Loriaux: Du coup, on va parler de chaussure principalement, on va parler de la chaussure dans le cadre d’une transition écologique et sociale. Et du coup, moi ce qui m’intéresserait, c’est de faire un tout petit peu de prospective et puis après on essaiera de descendre dans le concret de ce qu’il y a à faire dans ce secteur là, maintenant, tout de suite. Mais comment tu vois ce secteur dans dix ans ou dans 25 ans, quand on sera en 2050 ? C’est quoi le monde de la chaussure demain si on a réussi à faire une transition efficace et bien ordonnée ?

Clément Fabries : J’aime bien cette question. C’est intéressant de se dire qu’est ce qu’on peut viser en étant un minimum ambitieux ? Je pense que c’est un secteur qui, comme beaucoup d’autres autour du produit de la consommation de masse en général, va évoluer. C’est un produit nécessaire et utile qu’on porte tous la chaussure. Donc c’est pas un produit qui va disparaître. C’est un produit qui a toujours existé, qui suit l’humanité et qui va continuer d’exister. Il la suivra. C’est un produit, par contre qui va être soumis à des changements. Parce qu’en fait, aujourd’hui, il y a pas mal de contraintes sur l’extraction de matières, le coût du transport, le coût du travail, le coût de l’énergie, beaucoup de choses comme, ça la pollution, la gestion des déchets, la production des déchets. Tous ces enjeux là aujourd’hui vont toucher du coup la production et la consommation de tout produit que l’on porte et donc la chaussure, comme tous les articles de mode. Va aussi subir des profonds changements. En fait, je pense très certainement, on en parle tous d’une transition de l’économie linéaire vers une économie circulaire.

Clément Fabries : À un moment donné ou l’économie de la fonctionnalité. Si on veut aller plus loin. Et donc moi, ce que je pense très fort, c’est qu’à un moment donné, la chaussure, ça va être un produit réellement durable ou ça va le redevenir en tout cas. Donc on va avoir un univers qui va faire que nos objets, on va les utiliser à la hauteur de ce pour quoi ils ont été faits. On va les faire durer longtemps, on va ils vont être faciles à entretenir, ils vont être faciles à préserver. Ils vont être faciles à transmettre aussi, et même à personnaliser et à s’approprier. Puisqu’au final, dans l’industrie fin du XX? siècle ou deuxième partie du XX? siècle, il y a eu toute la mass prod production qui est arrivée. Et finalement ça a fait aussi que ça a lissé finalement la consommation, les modèles, tout le monde achète la même chose, tout ça. Et là, il y a une profonde tendance qui est en train de revenir aujourd’hui, c’est le fait d’avoir des objets en propre. Des objets qu’on va s’approprier et qui vont nous accompagner.

Jonathan Loriaux: Je t’interromps un instant. Il y a une partie de ce que tu as dit qui m’intéresse particulièrement, c’est que, au final, la chaussure réussit sa transition. On va revenir en partie à un modèle qui était le modèle qu’on connaissait il y a un petit siècle, un truc comme ça.

Clément Fabries : Oui, oui. Et même ce que ça va apporter, c’est la personnalisation. Du coup, le sur-mesure ou demi sur-mesure, le fait que ce soit adapté à la personne. Il y a une scission à un moment donné entre les prix du marché de quelque chose d industrialisé et standardisé qui va vraiment coûter pas très cher et le sur-mesure qui coûte cher en habits comme en chaussures. C’est à peu près la même chose, sauf qu’aujourd’hui, on commence à avoir des technologies et des moyens qui vont permettre de rendre accessible le sur-mesure et le personnalisé. Quand on regarde tous ces ingrédients là, on voit bien que ce sont des tendances qui sont en train de revenir fort et qui petit à petit vont redevenir la norme. Parce qu’au final, il n’y a rien de mieux que d’avoir des chaussures faites à la taille de son pied, faites pour soi même.

Jonathan Loriaux: Au final, aujourd’hui, le cordonnier, c’est celui qui répare. Alors que originellement, c’est celui qui fabrique la chaussure. Je ne dis pas de bêtises, c’est un métier qui a continué mais qui est devenu très différent. Cette place du cordonnier, que ce soit toi ou un autre. Comment tu la vois dans dans cinq ans si on a avancé dans cette direction ?

Clément Fabries : Le cordonnier c’est un métier d’artisan du coup de service qui était présent dans toutes les villes et villages. Il est toujours présent dans la plupart des villes. Pas forcément dans les villages, parce que comme tous les petits commerces, c’est pas forcément un métier qui a perduré tant que ça, mais il est toujours présent et c’est pas pour rien. C’est que le cordonnier, il est quand même très très résilient et très adaptable, très agile. Aujourd’hui, si on veut parler avec des vocabulaires d’entreprise aujourd’hui ou Scrum, ils s’adaptent à tout. Parce qu’en fait, c’est quelqu’un qui est très adaptable, qui va avoir des machines, des matériels et qui va recevoir des personnes et s’adapter à leurs besoins pour leur répondre. Donc aujourd’hui, bien sûr, le métier a évolué. Il ne fait plus beaucoup de production ou de création, quoique ça arrive quand même parfois. Mais effectivement, il va pouvoir reprendre ce rôle là à un moment donné. Et puis même les besoins d’entretien ou de réparation vont évoluer et il saura s’y adapter, mais voire même de personnalisation comme on disait à un moment donné, si on veut adapter la taille d’une chaussure, il faudra peut-être des machines spéciales ou des fournitures spéciales.

Clément Fabries : Le cordonnier pourra le faire si on veut customiser et adapter à son propre goût ses affaires qui sont plutôt mainstream standard en fait. Le cordonnier pourra le faire en gros ces services de proximité. Un cordonnier avec des savoirs faire et des savoirs. Et en fait, là, on fait une recette avec avec tout ça pour rendre service du coup aux gens. Et ça permet de créer de la valeur en local, créer du service. Du coup, pour les personnes qui en ont besoin.

Jonathan Loriaux: Tu parles de passer d’un modèle orienté produit à un modèle orienté service. Très clairement, aujourd’hui, l’achat de chaussures, c’est un achat confort, compulsif, mode, et donc par essence, c’est un produit que certaines générations renouvellent au gré de la mode et qui est rarement toujours opérationnel au bout d’un an ou deux. Comment on passe de ce modèle de consommation de masse au final vers un modèle de service ? C’est quoi concrètement qui doit changer dans cette industrie pour qu’on puisse y arriver ?

Clément Fabries : Ben en fait, je pense que les choses ont déjà commencé à changer par les pratiques de consommation, les pratiques d’achat. Si on regarde aujourd’hui comme tournent Leboncoin ou Vinted, c’est quand même assez impressionnant. Si on regarde aussi le nombre de personnes qui commencent à aller chez Emmaüs ou dans les Recycleries ou autres pour aller acheter leurs affaires. Tous ces signaux, si on les regarde, en fait, on se dit ouais, il y a quand même une tendance générale et même la majeure partie des marques et des grosses entreprises, y compris dans la grande distri, les Leclerc, Carrefour et autres commencent à avoir des corners dans le vêtement avec de seconde main. Donc là on commence à voir que, en fait, les produits sont amenés de plus en plus à circuler et à changer de propriétaire. Je trouve que c’est un marqueur important. Ce qu’on peut voir derrière, c’est que effectivement, adapté à la chaussure, il va falloir relever des challenges parce qu’aujourd’hui il y a certains freins à faire qu’une chaussure change de propriétaire et donc ça, ça va nécessiter peut être des remises en état, des réadaptations esthétiques ou physiques pour que la chaussure puisse continuer à être utilisée.

Clément Fabries : Et honnêtement, je pense que réellement on a déjà lancé cette transition là. Et ce qui va faire que ça continue, c’est que du coup, les outils d’achat, revente, redistribution puisqu’on peut donner aussi ses affaires si on pense aux enfants par exemple, qui change de pied et de taille de pied régulièrement. Les chaussures, c’est quelque chose qui mériterait de pouvoir être transmis par un acte monétaire ou pas. Donc je pense qu’il y a vraiment quelque chose à faire là dessus.

Jonathan Loriaux: C’est marrant que tu parles des enfants parce que justement il y a une légende qui dit qu’une chaussure déjà porté par un enfant a une usure particulière et donc il vaut peut être mieux ne pas la transmettre de peur de créer des problèmes physiques. Ça c’est de l’ordre de la légende ou pas ?

Clément Fabries : Il peut y avoir un discours on va dire technique scientifique sur par exemple sur la posturologie ou des choses comme ça qui sont intéressants là dessus. Non, en fait il faut lever les freins, mais ça veut dire que, avant de lever, de changer de chaussures, il faut peut être qu’il y ait un petit diagnostic ou autre qui permette de savoir ou pas, de savoir si les mousses, par exemple, ont été dégradées ou affaissées et qui ferait que par exemple, ce serait délétère pour un autre enfant de les porter. En fait, il faudrait passer par une étape de diagnostic qui permettrait de dire ok ou pas ok et si pas ok, on enlève la mousse, on en remet une nouvelle et ça peut repartir. En fait, je pense qu’il y a des solutions, mais il faut lever les freins comme tu dis. Là, tu viens de donner un exemple, c’en est un. C’est un frein aujourd’hui à la transmission de chaussures. Un autre frein, ça va être par exemple l’hygiène.

Clément Fabries : Et là, aujourd’hui, les procédés de nettoyage et d’assainissement de chaussures, ils existent, mais ils sont peu quantifiés. On ne sait pas encore dire exactement est ce qu’on a tué toutes les bactéries ou pas dans la chaussure ? Tout ça. Le jour où on saura le lever, ça baisse forcément et qu’on pourra valider avec un tampon pour dire que cette chaussure, elle est 100 % assainie parce que j’ai fait tel et tel traitement, telle et telle mesure, tu peux y mettre tes pieds dedans, c’est comme si elle était neuve, ça facilitera encore plus ce genre de chose. L’objectif final, c’est vraiment qu’il n’y ait plus de chaussures mises en déchetterie alors qu’elles auraient pu continuer à être portées.

Jonathan Loriaux: Mais du coup, tous les services qui sont à développer autour de la chaussure, sont principalement là pour augmenter sa durée de vie et assurer le fait qu’elle puisse être transmise, continuer à être utilisée par son usager d’origine. Comment on fait pour augmenter la durée de vie d’une chaussure ?

Clément Fabries : Il faut avoir envie de qualifier les usures qui vont arriver, de les maîtriser dès le départ, dès la conception. Il faut que les marques intègrent dans leur cahier des charges, le fait que la chaussure doit être résistante et robuste. Pendant longtemps, ce n’était pas un critère d’achat. Donc à partir du moment où ce n’est pas un critère d’achat, les marques ne le font pas. C’est toujours un jeu de chat et de souris entre la consommation et ce que proposent les marques. Si les clients veulent de la durabilité, les marques vont faire de la durabilité, c’est évident. Mais les marques peuvent être aussi moteur pour le faire. Si une marque a inscrit dans son ADN qu’elle va faire des affaires durables, qu’elle va faire des affaires qui sont réparables et créer le modèle économique qui va avec.

Clément Fabries : C’est souvent un des freins, les marques ont peur de vendre moins, de mettre en danger leur entreprise. Cela dit, comme tu l’as dit, l’économie va de plus en plus tourner vers du service. Si on se met à concevoir les affaires en pensant à comment on va pouvoir les entretenir et les faire durer, le service va prendre de la valeur. Et là, on va démultiplier la valeur d’un produit. On pourra augmenter la valeur dans le temps puisqu’on va rajouter à chaque fois du service. C’est un petit peu le même principe qui s’est passé avec la voiture. Il y a eu de plus en plus de systèmes qui se sont mis à faire du leasing, de l’entretien, des révisions et autres. Et finalement, c’est des manières de créer de la valeur pour une entreprise, de stabiliser sa boîte et aussi de ramener du flux en magasin. Et du coup, un taux d’adhésion client qui est fort.

Jonathan Loriaux: L’objectif de ce podcast, c’est de se poser la question : Oui, mais concrètement, là, maintenant, comment on fait pour lever les freins et aller de l’avant ? D’un côté, il y a des freins côté consommateur. Il y a des questions de marketing, de communication, de ce qui est désirable ou pas dans la société, c’est une chose. Et de l’autre côté, il y a le frein que tu viens d’évoquer sur l’entreprise. Pourquoi je changerai mon business model alors que pour l’instant aujourd’hui ça marche encore ? Si je chamboule tout, je risque de tout perdre. Comment on fait pour convaincre les marques ? Comment elles peuvent se transformer alors qu’aujourd’hui elles n’y ont pas réellement intérêt ? Faire de la production de masse et du renouvellement marketing des différentes gammes tous les six mois, ça a un intérêt financier, ça génère du chiffre d’affaire. Pourquoi une boîte changerait de modèle, même s’il est plus vertueux écologiquement et socialement, alors que ça marche aujourd’hui et qu’elle ne sait pas ce qui se passerait si elle changeait d’attitude ?

Clément Fabries : C’est une vraie bonne question. Mais, dans la mode aujourd’hui, on ne peut pas dire que les entreprises soient confortables. On a des entreprises qui coulent ou qui ferment tous les mois, de grosses entreprises qui ont des difficultés depuis deux ou trois ans. Il y a beaucoup de signaux qui montrent que ces entreprises doivent changer. C’est pas facile par contre. Ce sont des éléphants qui sont un peu rigides dans leur structure, dans leur masse salariale. Ce n’est pas facile pour eux d’évoluer. Il y a vraiment une conduite du changement à mener. La réparation est vraiment aujourd’hui un levier facile à activer pour aller générer une nouvelle valeur et pourquoi pas des axes de développement pour une entreprise. Franchement, ça ne peut être que du bonus parce que ça peut permettre de ramener du monde en magasin.

Clément Fabries : Ça permet d’être visible dans un moment où les offres sont pléthoriques. Et où le danger dans la mode, en tout cas en France, c’est les entreprises extérieures comme Shein et Temu qui phagocytent tout le secteur bas de marché. Le milieu de marché est en grosse difficulté et ceux qui s’en sortent en général, sont ceux qui deviennent de plus en plus premium. Mais, il faut réfléchir à la valeur ajoutée que va avoir la marque.

Clément Fabries : Un très bon exemple, c’est Veja. Avant tout le monde, ils ont travaillé sur le côté éthique de la chaussure. C’était début des années 2001 de mémoire, quelque chose comme ça. Leur entreprise est une sacrée success story dans un monde où il y a plutôt des défections que des créations. Et Veja, depuis quelques années, développe la réparation.

Jonathan Loriaux: Veja ne répond pas tout à fait à mes questions. Ils se sont construits sur ce modèle avec ses ambitions et ces valeurs éthiques. Or, un acteur qui est déjà présent sur le marché, est-ce que l’effort qui est à fournir va générer suffisamment de valeur pour qu’ils y aillent réellement ?

Clément Fabries : Ce qu’il faut faire en fait, c’est ce qui s’appelle des POC (Proof of concept), des tests, des capsules. Dans ces entreprises en général, il y a des services RSE ou des services innovation qui ont pour but de justement d’explorer à petite échelle des nouveaux schémas d’offres et des nouveaux produits. Et c’est typiquement le genre de travail qui peut être mené et du coup apporter des billes. Le podcast qui s’appelle « Non mais concrètement ! », c’est parfait parce que c’est exactement ça. Il faut mettre ses mains dedans et se rendre compte avec des indicateurs. Ça permettra de se rendre compte des effets, et de développer ou pas, par exemple, le service et la réparation.

Clément Fabries : Moi j’ai l’intime conviction que quelqu’un qui le fait apportera un flux magasin beaucoup plus fort et riche qu’il n’est aujourd’hui. Parce que du coup on amène de la récurrence, on amène des gens qui viennent et qui reviennent et qui rereviennent. Et ça, pour un magasin, c’est hyper important.

Jonathan Loriaux: Donc ce que tu conseillerais aux entreprises qui veulent se lancer, c’est de lancer sur quelques magasins des trucs ultra simples et de voir les retours et l’engouement qu’il peut y avoir derrière. Et d’y aller en mode guérilla : on n’a rien préparé, mais on y va quand même et on voit ce qui se passe derrière. Et on assume dans un premier temps les retours clients.

Clément Fabries : Oui. Et en faisant les choses d’une manière assez simple et pragmatique. Par exemple, une marque qui va avoir plein de modèles de chaussures, elle peut en choisir qu’un seul, un emblématique, un modèle connu. Travailler l’offre de réparation en créant un petit modèle économique et en trouvant les faiseurs parce qu’il faut quand même trouver des gens qui vont faire les entretiens de réparation. Donc créer la petite offre, la mettre en place, la communiquer et ça permettra très rapidement de se rendre compte s’il y a une appétence des clients, s’il y a un impact positif ou négatif sur les ventes du magasin. Moi, j’ai vraiment tendance à me dire que ça va plutôt être positif. Mais, la meilleure manière de le savoir, c’est de le faire concrètement. Et comme dans ces marques de grande conso ou en distribution, il faut faire mettre des indicateurs partout, relever les indicateurs permettra de réellement prendre une décision.

Clément Fabries : Parce que se dire qu’on va se tirer une balle dans le pied si on développe la réparation, c’est une décision prise au doigt mouillé. Alors que le marché montre que tout le monde veut aller vers du service. Et aujourd’hui, il y a très peu de solutions, donc ceux qui vont le faire, vont avoir de l’adhésion.

Jonathan Loriaux: Est-ce qu’il y a la compétence ? Est-ce qu’il y a des gens qui veulent se former pour devenir cordonnier et pour acquérir ce type d’expertise ?

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Clément Fabries : Il y a beaucoup de monde qui est intéressé mais il y a peu de monde qui arrive à réellement concrétiser. C’est un métier qui porte énormément de sens aujourd’hui. La chaussure c’est concret, on fait avec nos mains, c’est un beau produit, il y a plein de belles matières, donc ça attire clairement. Après, il y a beaucoup de gens qui se disent qu’ils n’en sont pas capables parce qu’ils pensent qu’ils ne sont pas habiles de leurs mains, parce qu’ils n’ont pas la culture. Alors qu’en fait, comme tout métier, ça s’apprend, il suffit d’être intéressé. On ne parle pas de créer des satellites, on est quand même dans des métiers très concrets de terrain.

Clément Fabries : Aujourd’hui, on demande à un cordonnier de savoir tout faire sur tous les types de chaussures. Donc forcément, c’est exigeant. Mais, si, par exemple, l’ambition pour une marque est de ne travailler que sur un certain modèle de chaussures, c’est beaucoup plus facile de transmettre de l’information et de former des personnes et de les rendre très efficaces et opérationnelles en très peu de temps.

Jonathan Loriaux: En parlant de former, concrètement, il y a des filières de formation à la cordonnerie ou aujourd’hui ça reste faire des stages sur le terrain ? Si quelqu’un veut avancer, c’est quoi la porte d’entrée pour se former ?

Clément Fabries : Mon premier conseil, c’est de se faire la main sur le terrain. Le top, c’est d’aller voir son cordonnier ou sa cordonnière et demander à passer un petit peu de temps avec lui. En général, les gens sont très contents qu’on s’intéresse à eux et à leur entreprise. Ils vont ouvrir leur porte. Quelqu’un qui veut vraiment devenir cordonnier va être amené dans son projet pro à ouvrir une boutique de cordonnerie. Et dans ce cas, une bonne manière de faire, c’est de pister tous les cordonniers qui cherchent à vendre leur fonds de commerce. Parce que aujourd’hui, le métier est plutôt pratiqué par des personnes qui ont plus de 60 ans, il y a des fonds de commerce, des machines, des gens qui sont prêts à transmettre. Et c’est le bon moment parce que parce que dans quinze ou vingt ans, il y en aura peut être beaucoup moins.

Jonathan Loriaux: Il y a le savoir faire qui risque de s’épuiser aussi. Et ce serait dommage alors qu’on est justement à un tournant sur les sujets de la réparation, de perdre ça.

Clément Fabries : Il y a des formations spécifiques cordonnerie qui existent. Il y en a une à Nantes qui va parler du métier de la chaussure en général qui peut permettre de former quelqu’un qui va travailler dans une usine de fabrication de chaussures par exemple. C’est une approche assez complète autour de la chaussure. Actuellement sur Toulouse, je travaille avec quelqu’un avec qui on est en train d’écrire une formation sur le métier de la sneakers qui s’appellerait Cordonnier Sneakers. Elle sortira courant 2025. L’idée c’est d’avoir une approche complète entre impact environnemental, customisation, refabrication, réparation. L’idée n’est pas forcément de former au métier du cordonnier tel qu’il est aujourd’hui. Mais de former des gens qui vont faire que de la customisation, qui vont faire des stages et des formations auprès du grand public. L’idée, c’est d’apporter des cartes multiples et variées qui va permettre d’ouvrir plusieurs métiers et d’être employables. Parce qu’il y a aussi des entreprises comme Veja dont je parlais avant, qui ont envie de développer en interne des solutions de réparation. Et pour ça, il leur faut des personnes formées.

Jonathan Loriaux: Quels sont les acteurs connus du grand public qui avancent dans une direction qui ressemble à l’idée que tu te fais du marché dans dix ou vingt ans ?

Clément Fabries : Il y a une marque qui s’appelle Sessile, qui appartient au groupe Eram. C’est une marque qui est produite en France à la Manufacture H, dans la zone vers Angers de mémoire. Ils permettent de remettre en état intégralement la chaussure. On est sur une marque type basket / chaussure de ville assez grand public. La plupart des marques traditionnelles de chaussures un peu haut de gamme en France le permettent depuis bien longtemps et l’ont toujours fait. Je pense à Heschung, à Paraboot. Ce sont des chaussures avec des montages costauds qui peuvent vivre 30 ou 40 ans. Donc les marques traditionnelles ont toujours fait ça et elles ont jamais arrêté. Alors que chez les marques industrielles grand public avec des baskets, il y a Veja, Sessile et d’autres petites marques qui commencent à à travailler leur offre et qui poussent vers l’éthique, vers le moins consommer.

Clément Fabries : Mais réellement, la réparation, c’est quand même quelque chose qui est difficile à appréhender aujourd’hui pour une marque. Difficile à rendre rentable et difficile à gérer la copie humaine. On est un peu aux prémices de ça. Même Veja, c’est un peu en mode capsule. C’est un peu en mode : je fais, je teste, je prends de la donnée, je crée mon parcours de formation interne. Ils évoluent et ils sont en mode pionnier. Ils s’inspirent de personne et ils avancent comme ils peuvent. Ça va leur permettre petit à petit d’être référent sur le fait d’être une marque grand public qui propose la réparation.

Jonathan Loriaux: Est-ce que tu as l’impression qu’auprès du grand public, il y a une vraie compréhension de ce changement ? Comment on fait pour accompagner le consommateur vers son changement de pratique ? Comment on fait pour communiquer et rendre ça désirable ?

Clément Fabries : Comme tu dis il faut que ce soit hype. Ça veut dire qu’il faut que les marques de mode commencent à s’y mettre. Il faut que les influenceurs s’y mettent, que les stars en parlent. Aujourd’hui, on n’est pas du tout dans quelque chose qui est mis en avant. On est plus sur une vague de fond de consommation où il y a des personnes qui ont envie de soigner leurs affaires parce qu’elles sont un peu engagées et parce qu’elles ont un sens de la responsabilité et qu’elles aiment ça !

Clément Fabries : On est sur un sujet où on sait qu’il faut le faire, mais quand même, on ne va pas le dire trop haut et fort. Le service qui va le développer, c’est quand même un petit service par rapport à l’autre. Les moyens de com ne sont pas forcément à fond mis dedans. Veja est quand même un peu pionnier. Ils commencent à se donner les moyens et à communiquer là dessus. Les gens qui aiment Veja, n’ignorent pas qu’ils font de la réparation et là ils ont créé des beaux endroits, ils communiquent ça.

Jonathan Loriaux: La particularité de Veja, c’est que c’est une boîte qui ne fait pas de pub. Donc justement, eux ne vont jamais faire une pub à une heure de grande écoute.

Clément Fabries : Au delà de ça, ils ont créé des lieux qui font leur pub d’eux-mêmes. Ils ont créé des corners cordonnerie dans les magasins, qui sont hyper beaux, pour que finalement ça devient quand même des vecteurs de com. Mais c’est vrai que c’est pas une com en tant que telle, comme une pub quelque part. C’est pas encore assez sexy en fait, tout simplement.

Jonathan Loriaux: Ce qu’on rêverait de voir c’est des influenceurs mode qui font de l’upcycling de leur Stan Smith et qui le montrent à tout le monde et que tout le monde se mette à avoir envie de donner une nouvelle vie et de rendre sexy ses produits.

Clément Fabries : C’est un bon axe ce dont tu parles. Il y a un mot qui a été inventé pour parler de tout ça, c’est le surcyclage. C’est de refaire des chaussures avec des chaussures. Il y a des artistes créateurs de mode qui font des chaussures en assemblant quatre ou cinq morceaux de chaussures les uns avec les autres, et à la fin, ça fait quelque chose qui a une sacrée gueule, qui est assez harmonieux, qui est un peu en mode chaussure que tu peux retrouver sur des podiums. Petit à petit quand même, on a beau dire, mais c’est quand même la mode et les podiums qui influencent ce qui arrive après chez Monsieur et Madame tout le monde. Quand à la Fashion Week, il y aura des mannequins qui porteront des vêtements déjà portés, reportés, refabriqués et que ce sera visible, assumé, sexy et beau, ça va forcément donner envie. Et là on va commencer à travailler sur l’imaginaire de la consommation.

Clément Fabries : Parce qu’au final, les chaussures, on les choisit avec le cœur, on les choisit avec l’envie, parce qu’elles vont nous faire des beaux pieds, parce qu’elles ont de la gueule. Bien sûr pour certaines personnes, c’est purement fonctionnel. Mais quand même. Le gros de la consommation aujourd’hui, dans la mode et dans la fringue, c’est un petit peu ça. En tout cas, il y a un vrai sujet sur le côté influencer la société par des produits travaillés par du stylisme. Il faut rendre vraiment visible la réparation et la valoriser. Qu’elle soit sexy.

Jonathan Loriaux: Désirable.

Clément Fabries : Yes, that's it.

Jonathan Loriaux: Il y avait un autre sujet dont on avait discuté en préparant ce podcast, c’est le sujet de la législation. Faire bouger les entreprises, ça peut aussi passer par la loi. Des lois existantes qu’on ferait appliquer et de nouvelles qu’on créerait. Est-ce qu’aujourd’hui il y a déjà des incidents ? Est-ce que toi tu vois des évolutions législatives arriver ?

Clément Fabries : Aujourd’hui, il y a énormément de chaussures qui sont produites et amenées en magasin mais pas vendues. Il y a des lois qui commencent à encadrer contre le gaspillage. Grosso modo, tous les invendus doivent être donnés ou valorisés d’une autre manière, mais en tout cas pas jetés.

Clément Fabries : Les chaussures qui sont défectueuses, à cause d’un œillet abîmé ou une couture ratée, aujourd’hui elles vont à la benne. Des législations commencent à arriver. Tous ces produits là devront être réparées et remises sur le marché.

Clément Fabries : Il y en une loi qui existe depuis déjà pas mal de temps. C’est une loi européenne de protection des consommateurs. C’est la garantie. La garantie couvre pendant deux ans un usage normal de tout produit qu’on va acheter en Union Européenne. La chaussure en fait partie. Ce qui fait que logiquement, si ta chaussure est flinguée ou elle a un vrai défaut même six mois après l’avoir porté, tant que t’as pas fait une extension d’usage particulière ou que tu ne les as pas mal traités, logiquement, l’entreprise devrait te rembourser.

Clément Fabries : C’est quelque chose qui n’est pas appliqué. Parce que les consommateurs ne vont pas forcément avoir le réflexe de revenir en magasin. Les marques elles mêmes ne communiquent pas dessus. Mais, dans les faits, les consommateurs sont couverts dans les deux ans si un produit se montre défectueux alors que l’usage est normal. Il y a un arbitrage à faire entre : est-ce que c’est une usure classique d’usage ou est-ce que c’est un défaut ? Une loi comme ça, finalement, c’est fait pour inciter à ce qu’on ne produise plus de chaussure jetable. Elle est déjà là la loi.

Clément Fabries : Très concrètement, ce qu’il faut faire, c’est que nous tous, utilisateurs et consommateurs, quand on a un problème sur un produit, il faut le ramener en magasin, ou le signaler au service client. Ils vont répondre car ils ont quand même une loi derrière qui peut bien les chatouiller.

Jonathan Loriaux: C’est presqu’un acte militant de ramener ses chaussures au bout de six mois quand la semelle est complètement usée alors que ça fait six mois qu’on les porte sur deux ans.

Clément Fabries : Oui mais en fait, la responsabilité réelle, elle est bien au producteur. C’est pas toi client qui soit porter la responsabilité parce que tu as marché avec des chaussures (et encore heureux que tu puisses marcher avec tes chaussures). C’est un dispositif qui est déjà là mais qui n’est pas connu. Donc il faut le faire connaître par de la communication.

Jonathan Loriaux: Qui va bien prendre le parti de communiquer sur ce sujet ? Au final, ce sont les marques qui sont les plus militantes et qui font déjà le job correctement, qui auraient tout intérêt à mettre ça sur la place publique. C’est quand même un argument de vente qui est incroyable comparé à d’autres.

Clément Fabries : Oui. Par contre, pour pouvoir assurer le truc derrière, il faut quand même avoir proposé le service d’entretien ou de réparation et avoir des chaussures qui sont très résistantes. Et ça va tirer le marché vers le haut. Moi, je suis en train de concevoir des chaussures et des sneakers qu’on sortira l’an prochain qui ont pour but d’être très durables, très résistantes. Du coup, on va jouer ce curseur là très fort. La basket qui a la réelle capacité de durer longtemps. Effectivement, on va communiquer sur la garantie. Est ce qu’on dit qu’on suit juste la loi ? Est ce que finalement on arrive à être bon et même à proposer une garantie encore plus longue ? Le tout c’est de parler de garantie et de la respecter.

Jonathan Loriaux: Et que c’est normal que des chaussures tiennent longtemps.

Clément Fabries : Oui, bien sûr. En fait, on est très habitués à ce que des souliers durent longtemps, mais pas des baskets. Aujourd’hui, la basket est vraiment devenue un produit quasiment jetable. Alors qu’en fait tout est là. La connaissance, elle est là. Les matières, les Savoir-Faire, ils sont là. Le tout c’est de faire les bons choix en conception. Parfois c’est tout bête mais c’est vraiment un souci d’attention. Comme je le disais tout à l’heure, dans une même marque, sur un même modèle, tu vas avoir une chaussure qui va être super bien. Parce que le choix de matières et de cosmétiques, il est très adapté pour durer longtemps. Et celle d’à côté, un mauvais choix de coloris parce que la matière a un traitement de surface qui fait que on ne pourra pas la nourrir, on ne pourra pas la nettoyer, elle va craqueler en bord et en fait on a une chaussure qui va peut être vivre trois mois, alors qu’une autre va vivre trois ans. De mêmes chaussures faites dans la même usine, il y a juste un matériau qui a changé.

Jonathan Loriaux: On approche de la de la fin de l’interview. Tu fais de l’accompagnement auprès de certaines marques. Et je trouve ça intéressant de comprendre pourquoi des marques qui font des chaussures depuis parfois des dizaines d’années peuvent se tourner vers un ingénieur cordonnier. C’est assez étonnant qu’au moment de la conception, ils n’ont pas ces compétences et qu’il leur manque des choses. Qu’est ce qui fait qu’ils viennent te voir et qu’est ce qui leur manque en fait, comme prise de recul, peut être par rapport à leurs pratiques habituelles ?

Clément Fabries : Parce c’est un rôle que personne n’a dans l’entreprise. C’est dans le métier de personne où personne n’a la charge ou la dispo pour ça. L’autre point, c’est que je me suis construit un profil assez riche et pertinent autour de la durabilité chaussures puisque j’ai la vision qualité, développement, industrialisation d’une chaussure et je connais assez bien les enjeux des différentes marques, grandes échelles ou petites. Surtout, ce que je vois c’est le terrain, c’est que à partir du moment où tous les jours on touche des chaussures et surtout on voit les gens qui les utilisent, on comprend mieux ce qui fait que quelque chose tient ou ne tient pas et ce qui va être acceptable ou non en fonction de son profil, du profil de la personne qui les porte. Le réel lien avec les utilisateurs est très important.

Jonathan Loriaux: Ce qui veut dire d’ailleurs que si les entreprises se lançaient dans la réparation et l’internaliseraient, elles se rendraient mieux compte des défauts et ce qu’elles auraient dû tester. Dès lors, il pourrait optimiser leur process de fabrication suite aux retours.

Clément Fabries : Exactement. J’ai dix ans d’expérience environ chez Decathlon. L’une des grandes richesses de Décath et qui fait que leurs offres tapent en général assez juste, c’est qu’il y a des feedbacks clients très réguliers. Chez Décath, on peut ramener n’importe quel produit qui ne va pas, que ça ne soit pas la bonne taille, qu’on ne le trouve pas assez au niveau, parce qu’il il est abîmé… Bref, n’importe quoi. Vous le ramènez chez Décath, ils vous le rembourse. Fin de l’histoire. Et ça c’est hyper incité. C’est aussi hyper incité d’avoir les avis sur les produits. Et en fait, toute cette nourriture là est remonté au chef de produit et aux ingénieurs produits et autres. Et donc ça, ça permet petit à petit d’améliorer les offres.

Clément Fabries : Donc ça, c’est vraiment une des grosses forces de Decath, parce qu’ils sont les concepteurs et les vendeurs. Mais forcément, ils n’ont que les retours de ce qui est ramené en magasin. La différence qu’on a nous en cordonnerie, c’est qu’on est là dans la vie de tous les jours, des gens, et en fait on les voit et ils viennent nous voir à chaque fois qu’ils ont un besoin. Ils ne reviennent pas forcément dans les magasins. Avec cette connaissance, je peux travailler du coup, sur des offres de réparation qui soient rentables.

Clément Fabries : Il ne faut pas se dire qu’une entreprise va faire de la réparation en faisant comme fait un cordonnier, ça c’est pas possible parce que les flux ne seront pas les mêmes, les marges ne seront pas les mêmes, les manières de travailler ne seront pas les mêmes. Donc moi, clairement, aujourd’hui, ce que je propose aux entreprises, c’est de les aider à évaluer les défaillances sur leurs chaussures, évaluer la réparabilité, développer des process de réparation et puis après les accompagner, soit pour trouver des partenaires, soit pour intégrer la capacité de réparation en interne, soit pour travailler en sous-traitance avec des acteurs. Fixer un cahier des charges qui leur permettrait d’avoir un modèle économique rentable. J’insiste sur le rentable parce qu’aujourd’hui, l’un des plus gros freins et à la transition c’est qu’il y en a beaucoup qui croient que réparer sera pas rentable pour l’entreprise. Alors qu’en fait si, c’est évident. Par exemple sur les coûts de non-qualité, quand on vend des chaussures à 200 € et qu’il faut mettre 40 € de réparation. Mais quand une entreprise doit récupérer et rembourser 200 €, elle sera quand même plus contente de payer 40 € à quelqu’un, si c’est un presta externe par exemple, que de rembourser les 200 €. C’est un exemple assez basique mais qui est quand même très bien illustré.

Jonathan Loriaux: Il va être temps de clôturer. Je ne sais pas si tu avais un dernier message à faire passer.

Clément Fabries : J’ai plein de messages ! Mais j’en ai surtout un : on est dans un moment où on a un peu tous de plus en plus conscience des enjeux environnementaux et on pourrait tomber en sinistrose et voir tout ce qui va mal. On peut aussi voir que le système économique est de plus en plus en difficulté et qu’il va falloir le challenger. Mais on peut aussi voir tout ça en se disant qu’en fait c’est la meilleure des périodes justement, il y a de la place pour créer des nouvelles choses. Ce sont les meilleurs moments pour faire ça parce que justement c’est pas très concurrentiel et dans tous les cas, on est forcé de se réinventer. Donc là clairement, je pense qu’on est dans une super période pour aller se réinventer, explorer ces pistes là et ouvrir ce que va être l’économie linéaire et l’économie de la fonction de demain parce qu’on sait tous qu’on y va, on ne sait juste pas à quelle vitesse. Et donc plus tôt on y va, plus tôt on se fera des convictions, et puis plus tôt on arrivera à en faire des modèles de réussite.

Jonathan Loriaux: Génial ! C’est une super conclusion. Merci beaucoup pour ta participation.

Clément Fabries : Je t’en prie.

Jonathan Loriaux: Et bon amusement pour la suite. À bientôt.

Clément Fabries : À bientôt. Merci Jonathan.

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